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Dossier n°2 – La Chine désormais en Europe grâce aux routes de la soie : une ingérence dont se méfie la France

Silk road

Jean-François Di Meglio, président d’Asia Centre, et Maëlle Lefèvre, chargée de recherche à Asia Centre

Lors de son discours du 8 janvier 2018 prononcé à Xi’an, Emmanuel Macron plaidait pour une coopération franco-chinoise mais aussi sino-européenne dans les domaines politiques, sociaux, environnementaux et économiques, dénonçant à demi-mot l’isolationnisme américain. Et bien que soutenant cet ordre multilatéral dont Xi Jinping s’était fait également le chantre lors du forum de Davos de janvier 2017, Emmanuel Macron mettait déjà en garde la Chine et exprimait ses attentes et ses conditions vis-à-vis du projet « One Belt One Road » (一带一路), lancé en 2013 par Xi Jinping. Il déclarait ainsi : « quand on construit une relation d’amitié, c’est une coopération équilibrée que l’on cherche »[i]. Il ajoutait : « aussi, ce multilatéralisme qui est à redéfinir implique de trouver les coopérations équilibrées à inventer pour le siècle qui s’ouvre. Il ne saurait être une suprématie déguisée et il ne saurait être le conflit entre des suprématies concurrentes. »[ii]Enfin, il se montrait encore plus explicite concernant les routes de la soie : « elles ne peuvent être les routes d’une nouvelle hégémonie qui viendraient en quelque sorte mettre en état de vassalité les pays qu’elles traversent […] La transparence, l’interopérabilité, l’ouverture dans la passation des marchés publics, le respect des règles de concurrence, de propriété intellectuelle, le partage des risques sont des sujets que nous traitons ensemble dans le cadre du G20. […] Ils devront aussi nourrir cette philosophie nouvelle et ce sera au cœur du dialogue que nous aurons à conduire »[iii]. Les derniers points évoqués par Emmanuel Macron à propos de la transparence, de l’interopérabilité, de la réciprocité, des règles de concurrence, et de la propriété intellectuelle sont en effet autant d’éléments qui justifient un mécontentement français et plus largement européen dans le commerce fait avec la Chine.

Un problème relevé par Emmanuel Macron dès 2018 mais aussi lors de la réunion sino-européenne tenue le 22 juin 2020[iv] qui nuit aux relations franco-chinoises dans le domaine des affaires concerne la protection de la propriété intellectuelle avec le pillage de données auxquelles sont confrontées les sociétés étrangères et françaises. Au détournement de brevets, s’ajoutent les cyberattaques dans les domaines de télécoms, de l’énergie, de l’aéronautique ou de la santé (comme ce fut le cas avec des hôpitaux européens tel l’AP-HP durant la pandémie), qui posent d’autant plus problème que les liens entre les organes de sécurité, l’Armée populaire de libération et de nombreuses entreprises chinoises sont avérés.

Par ailleurs, la France, comme la plupart des pays européens, se retrouve dans une situation de déficit commercial avec la Chine. Lors de sa première visite en Chine en 2018, Emmanuel Macron avait insisté sur l’importance de rééquilibrer les relations commerciales (avec un déficit commercial de plus de 30 milliards d’euros sur un déficit total de 65 milliards d’euros en 2017[v]), mais ses désirs ne sont pas devenus réalité. Bien au contraire, le déficit commercial entre les deux pays s’est même creusé et ce, notamment dans le cadre de la pandémie avec une diminution des exports français vers la Chine. Sur ces douze derniers mois, le déficit commercial entre la France et la Chine était ainsi de 36, 584 milliards d’euros[vi].

L’autre point qui fâche dans les relations économiques entre la France et la Chine, et plus globalement entre l’UE et Pékin, est celui des investissements. A l’échelle européenne, des négociations avaient été lancées en 2013 pour obtenir un Accord sur l’investissement (à la fois pour assurer une meilleure réciprocité et une meilleure transparence, les entreprises chinoises bénéficiant d’aides d’Etat, pratique interdite pour les entreprises européennes), un Accord qui n’a toujours pas été conclu aujourd’hui[vii]. Si le stock d’IDE français en Chine est supérieur au stock d’IDE chinois en France du fait de l’ancienneté de la présence française en Chine, « les investisseurs français ne bénéficient pas du même niveau d’ouverture en Chine que leurs homologues chinois sur le marché français et européen. »[viii] Par ailleurs, « les investissements français en Chine semblent ralentir ces deux dernières années, sous l’effet de divers facteurs : perte de compétitivité, saturation de certains marchés, lassitude face aux difficultés du climat des affaires. » En effet, la part du stock d’IDE français dans le stock d’IDE total chinois n’a fait que diminuer au cours des années : en 2014, la part était de 1.976%, en 2015, de 1.960%, en 2016, de 1.895%, en 2017, de 1.726% et en 2018, de 1.593%[ix]. Concernant la « difficulté du climat des affaires », la tendance s’est en effet encore durcie sous la présidence de Xi Jinping. Suivant les vingt premières années de l’ère Deng Xiaoping, les exigences de la Chine ont considérablement augmenté vis-à-vis des entreprises étrangères, et ce, à mesure que Pékin rattrapait son retard technologique. Ainsi, le secteur étatique chinois conserve un poids écrasant dans certains domaines stratégiques (naval, aéronautique, énergie, défense) et s’immisce toujours plus dans les autres branches. Les entreprises étrangères sont par exemple soumises à la mise en place de cellules dans lesquelles ont lieu des séances de critiques et autocritiques, de marxisme et d’analyse de la pensée de Xi. « La tendance générale est davantage à la préférence nationale qu’à l’ouverture accrue du marché aux entreprises étrangères »[x].

Concernant les investissements étrangers en Europe, Emmanuel Macron avait par ailleurs exprimé son inquiétude dès son premier Conseil européen, le 22 et 23 juin 2017, proposant d’instituer un instrument qui puisse contrôler les IDE en Europe, ciblant les acquisitions par des groupes chinois d’entreprises européennes. Cependant, cette proposition avait rencontré une certaine résistance à l’époque, notamment de la part du Portugal, de la Grèce et de l’Espagne, des pays dans lesquels les investissements chinois sont très importants, et justifiant ainsi la crainte d’Emmanuel Macron à propos d’une Chine qui divise l’UE à travers son influence économique qui peut parfois se muer en ingérence politique[xi]. Pour tenter de parer à cette division européenne avec laquelle la Chine a su toujours jouer, et ce, même au plus fort de la pandémie, Emmanuel Macron avait également convoqué Angela Merkel et l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lors de la visite de Xi Jinping à l’Élysée le 26 mars 2019, afin de faire un front européen commun face à la Chine et à ses « routes de la soie » qui inquiètent Paris. Le double discours prononcé par Emmanuel Macron à Nice et à Paris illustrait ainsi une méfiance accrue de la France vis-à-vis de l’ « expansionnisme chinois », qui contrastait avec le soutien relatif (mais sous réserve) du Président français concernant les « routes de la soie » exprimé à Xi’an. Le 26 mars 2019, il se montrait en effet encore plus explicite qu’en 2018 : « Nous avons des divergences, évidemment l’exercice de la puissance dans l’histoire de l’humanité ne va pas sans rivalités. Nul d’entre nous n’est naïf. Nous respectons la Chine […] et nous entendons naturellement de nos grands partenaires qu’ils respectent, eux aussi, l’unité de l’Union européenne comme les valeurs qu’elle porte pour elle-même et dans le monde »[xii]. Du 4 novembre au 6 novembre 2020, il s’était également rendu en Chine en compagnie du commissaire à l’agriculture Phil Hogan qui allait bientôt prendre le poste de commissaire au commerce. Enfin, dans un climat de tensions accrues avec Pékin, des mécanismes européens vont être mis en place pour protéger le marché européen, et ainsi, le marché français de toute forme de concurrence déloyale mais aussi d’ingérence politoco-économique[xiii]. Le 9 septembre 2020, la Cour des comptes d’Europe a ainsi publié un rapport mettant en garde les Etats-membres sur « l’offensive de l’empire du Milieu en matière d’investissements »[xiv]avec Pékin qui aurait ainsi investi 150 milliards d’euros en Europe entre 2010 et 2019[xv]. En octobre 2020, un règlement européen sur le filtrage des investissements directs étrangers entrera en vigueur.

[i] « Déclaration de M. Emmanuel Macron, Président de la République, sur les relations franco-chinoises, à Xi’an le 8 janvier 2018 » https://www.vie-publique.fr/discours/204688-declaration-de-m-emmanuel-macron-president-de-la-republique-sur-les-r
[ii] Ibid.
[iii] Ibid.
[iv] Cette réunion avait rassemblé par visioconférence la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil Charles Michel et Xi Jinping, ainsi que le Premier Ministre Li Keqiang. Ursula von der Leyen s’était montrée très claire, exprimant son insatisfaction concernant le déficit commercial entre l’UE et la Chine, l’absence d’accord sur l’investissement et la situation actuelle à Hong Kong. Le compte-rendu de cette réunion rappelait également la notion de « rival systémique » pour désigner la Chine et qui avait fait sa première apparition en 2019 dans la Communication conjointe « sur les relations UE-Chine : une vision stratégique ».
[v] INSEE, « Solde CAF/FAB des échanges de la France »
[vi] Données du commerce extérieur, « données pays selon la nomenclature agrégée : CN-Chine » http://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/A129/data_brutes.asp?id=P50CN_Z5550_Z5500
[vii] En 2018, les IDE venant de Chine étaient de 175, 3 milliards d’euros contre 59 milliards d’euros pour les IDE venant d’Europe (source : ec.europa), montrant une profonde dissymétrie.
[viii] « Investissements croisés France-Chine : entre dynamisme et dissymétrie », DG Trésor, janvier 2018, https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/32cc1416-97e6-4343-8423-826e4a3d2cb9/files/a851eead-dce8-408a-8bdd-c16a8e867b4d
[ix] « Stocks d’IDE sortant par pays partenaire », données de l’OCDE, https://data.oecd.org/fr/fdi/stocks-d-ide-sortant-par-pays-partenaire.htm#indicator-chart
[x] Alice Ekman, Rouge vif, l’idéal communiste chinois, Ed. de l’Observatoire, 224p.
[xi] Ainsi, durant la crise économique de 2008, le terminal à conteneurs du port du Pirée a été racheté par China COSCO Shipping, devenant l’actionnaire majoritaire du port. Et en 2016, Athènes s’était opposée à une déclaration critique de l’UE sur l’attitude de la Chine en mer de Chine méridionale, en plus de poser son veto à une résolution européenne condamnant les positions de Pékin vis-à-vis des droits de l’homme. En 2015, Athènes, Zagreb, Dubrovnik et Budapest avaient déjà insisté pour qu’il ne soit pas fait directement mention de la Chine dans une déclaration européenne à propos d’une décision de justice qui invalidait les revendication chinoises en Mer de Chine méridionale.
[xii] « Déclaration de M. Emmanuel Macron, Président de la République sur les relations entre l’Union européenne et la Chine et la préservation du multilatéralisme, à Paris le 26 mars 2019 », 26 mars 2019, https://www.vie-publique.fr/discours/268496-emmanuel-macron-26032019-ue-chine-multilateralisme
[xiii] Dans leur déclaration du mercredi 17 juin, Thierry Breton, commissaire au marché intérieur et Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, ont ainsi présenté leurs différents projets pour protéger l’Europe d’entreprises étrangères disposant de subventions publiques. La Commission prépare en effet une directive pour 2021 qui pourrait conduire les entreprises étrangères ne respectant pas les règles de concurrence à une amende, une interdiction d’acquisition, une exclusion des appels d’offres pour des marchés publics ou encore à devoir se séparer d’une partie de leur activité. Différents critères pourront être appliqués, comme le chiffre d’affaires, la taille du marché, l’ajustement carbone aux frontières.
[xiv] Jean-Pierre Stroobants, « Le poids de la Chine dans l’UE inquiète la Cour des comptes européenne », Le Monde, 11 septembre 2020.
[xv] Ibid.

asiacentre.eu