Le sommet de Copenhague sur le changement climatique est-il le révélateur public d’une intransigeance et d’une rigidité nouvelle de la diplomatie chinoise ? Jusque dans la forme, la confusion a régné : le président Obama a dû imposer sa présence à une réunion de concertation des dirigeants des pays émergents. Mais le Premier ministre Wen Jiabao s’est plaint ultérieurement de ne pas avoir été prévenu à temps d’un autre conciliabule majeur, y déléguant un vice-ministre des Affaires étrangères face aux autres chefs d’État et de gouvernement. Grands perdants politiques, l’Europe comme le Japon avaient fixé des objectifs ambitieux et contraignants, sans avoir les moyens diplomatiques de les mettre en oeuvre. Les États-Unis sont le gagnant au jeu de la diplomatie publique : alors qu’ils n’avaient pas plus que les grands pays émergents souscrit à des objectifs internationaux contraignants, ils ont réussi à concentrer les reproches sur le refus chinois de souscrire à une vérification internationale des niveaux d’émission : un refus prévisible, tant la Chine met en avant sa souveraineté dans le domaine des normes intérieures.
La Chine est-elle vraiment perdante ? Elle présente officiellement l’accord final comme un succès. Elle avait beaucoup travaillé en coulisses en direction des pays émergents et en développement, rassemblant sur des positions communes les émergents : Brésil, Afrique du Sud et Inde. Elle a toutefois admis implicitement un problème de forme en déplaçant vers Genève son vice-ministre des Affaires étrangères, qui avait dû incarner une position rigide face aux chefs d’État occidentaux en particulier.
En Chine même, Copenhague a eu bien moins d’écho public que les mesures et le débat proprement chinois sur les choix énergétiques et la réduction des émissions : la Chine a engagé un plan de réduction des émissions de 45 % par unité de PIB sur cinq ans – ce qui laissera néanmoins monter le niveau global des émissions ! Mais les analyses que nous avons relevées témoignent pourtant de la conscience d’un échec de la diplomatie publique. Les commentaires regrettent ainsi la maladresse de la diplomatie chinoise, alors que les autres grandes puissances émergentes avaient des positions comparables à celle de la Chine. Pourquoi la presse internationale passe-t-elle sous silence le refus indien d’assumer des responsabilités dans la lutte contre le changement climatique ? Et que dire du Brésil, qui avait négocié avec la France une position commune peu avant le sommet, avant de rejoindre le camp de la Chine ?
Mal à l’aise sur le volet international du dossier climatique, la presse chinoise ouvre par contre ses colonnes à des analyses informées sur l’évolution de la politique environnementale dans le pays. Elle débat de la pertinence d’une taxe carbone, tant pour encadrer la transition vers une économie moins consommatrice d’énergie que pour contrer la taxation aux frontières envisagée en Europe et aux États-Unis. Elle met en évidence la logique de marché comme le principal vecteur de transformation de l’économie chinoise. L’écologie ne progressera que lorsqu’elle sera profitable. Elle appelle enfin les entrepreneurs chinois à se positionner au plus tôt dans le passage aux technologies vertes. Car leur maitrise déterminera la position de chaque pays dans une compétition mondiale qui ne cessera de s’intensifier.
C’est là tout le paradoxe chinois dans la lutte contre le changement climatique : Le volontarisme politique et le dynamisme du secteur privé à l’intérieur du pays contrastent avec une position internationale intransigeante, le tout sur fond de catastrophe écologique dans bien des régions. La Chine ne veut pas d’obligation légale pesant sur le rythme de la transformation de ses modes de production. Le ton du débat demeure pourtant optimiste sur cette transformation. Est-ce réaliste ? Les Européens peuvent-ils influer sur ce rythme ? En dehors d’une taxe aux frontières sur les émissions, c’est la coopération technologique qui semble prometteuse, dans un domaine où les Européens ont pris de l’avance. Mais comment obtenir à la fois cette coopération et le respect de la propriété intellectuelle, alors que les exportations « vertes » deviennent une priorité chinoise ?
Copenhague a posé aussi la question d’une rupture dans la politique étrangère, au moins dans la forme. A la clôture de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire fin mars, Wen Jiabao s’est employé à répondre aux critiques internationales en rejetant la faute sur les États-Unis.
Un retour à une posture moins assertive permettra-t-il d’éviter une fracture visible entre la Chine et l’Occident ?
Pour l’heure, les analyses chinoises reviennent surtout sur les relations sino-américaines. La perception chinoise des États-Unis demeure ancrée dans la méfiance. Manifeste au début de 2009 dans les commentaires chinois sur le G2 et les ouvertures initiales de l’administration Obama, on la retrouve dans ce numéro sur un terrain inattendu, le Myanmar. L’ouverture diplomatique de Washington à l’égard de ce pays depuis peu est jugée à la source des heurts de l’été 2009 dans la région du Kokang, ethniquement chinoise et à la frontière avec le Yunnan.
La période actuelle de conflictualité entre la Chine et les États-Unis avait été anticipée par la communauté stratégique chinoise, au moment du grand débat de 2009 sur le duopole sino-américain. Mais au fond, la plupart des analyses que nous avons relevées en relativisent la gravité, et pointent plutôt un certain succès chinois sur des intérêts fondamentaux tels que Taïwan. Enfin, une étude fine d’écrits récents sur la montée en puissance de la marine chinoise révèle elle aussi des objectifs ambitieux – guère éloignés, finalement, d’une parité stratégique.
Sommaire
– DOSSIER: LA CHINE ET LE CHANGEMENT CLIMATIQUE –
Les enseignements pour la Chine du sommet de Copenhague
L’avant-garde « verte » d’une Chine en quête de normes
Taxe carbone : un état des lieux du débat
La course aux technologies de l’environnement
– REPERES –
La lutte contre la mafia à Chongqing, une campagne électorale en vue du 18e Congrès ?
Chine/États-Unis : un hiver passager ?
Le bras de fer entre Google et la Chine
Affrontements ethniques au Kokang : les stigmates birmans du rapport de force sino-américain
Taïwan : une vente d’armes en trompe-l’oeil
– DECALAGES –
Les voies asymétriques de la puissance maritime
Ont contribué à ce numéro : Gaëlle Brillant, Yann Dompierre, Hubert Kilian, Olivier Moncharmont, Anne Rulliat, François Schichan, Candice Tran Dai, Thomas Vendryes, Thibaud Voïta.