Quand l’expertise suit la politique… Les think tanks chinois rajustent-ils leurs thèses en fonction de la ligne du moment ? On peut se le demander à la lecture de ce dossier de China Analysis (dont il faut remercier en particulier Martina Bassan, Antoine Bondaz et Tanguy Le Pesant), consacré aux implications du conflit des îles Senkaku/Diaoyu. Ses sources ont été publiées en décembre 2012 – soit après le XVIIIème Congrès et juste avant les élections japonaises qui ont ramené au pouvoir
Shinzo Abe. En contre-point, figurent aussi des analyses de source taiwanaise.
Or le monolithisme de la position adoptée est frappant. Il contraste par exemple avec des dossiers que le CICIR, premier institut géopolitique chinois, a consacrés dans le passé soit aux relations sino-japonaises, soit à la stratégie chinoise. Il s’y exprimait alors des points de vue modérés sur les relations sino-japonaises, des doutes sur la stratégie de projection navale (et en particulier le porte-avions chinois), et une attention soutenue aux aspects économiques de la relation, en particulier avec le Japon.
Rien de tout cela aujourd’hui. Il y a d’abord élision complète de toutes les actions chinoises dans la région : l’entrée nouvelle de bateaux de pêches, de navires para-militaires et même d’avions dans des zones économiques exclusives ou des eaux territoriales dont la Chine était absente, n’est jamais mentionnée. Ce n’est qu’à Taiwan qu’on discute du rôle déclencheur du débarquement d’activistes locaux sur une des îles contestées. La Chine apparaît ainsi comme passive ou simplement réactive. Vis-à-vis du Japon, le jugement est implacable et fondé sur un syllogisme. Soit le Japon est en pleine résurrection néo-nationaliste, le très droitier gouverneur de Tokyo (qui a contribué à la crise en voulant racheter les îles à leur propriétaire privé) devenant l’inspirateur stratégique du gouvernement d’alors ; même l’ancien premier ministre Hatoyama, qui avait si fort irrité les États-Unis en 2009 en proposant une « communauté asiatique », se voit qualifié de « néo-asiatiste ». A défaut, le Japon est un « nain » à la remorque de la stratégie d’encerclement des États-Unis. On relèvera tout de même que ces jugements, publiés à la veille des élections dont on pouvait se douter qu’elles aboutiraient à la défaite du gouvernement Noda, ciblent surtout les politiciens de ce camp : Seiji Maehara en particulier. Mais l’évocation de la « haine » entre Chine et Japon concerne explicitement – et à tort ou à raison – les opinions publiques des deux pays.
Sommaire
– DOSSIER: LA VISION CHINOISE DU CONFLIT DES SENKAKU/DIAOYUTAI –
La Chine et ses frontières maritimes: une situation précaire nécessitant une nouvelle stratégie
Une instrumentalisation du conflit au bénéfice des ambitions du néonationalisme japonais?
La crise des îles et les relations Taiwan-Chine
Le “facteur américain” dans le différend territorial sino-japonais
– REPÈRES –
Un nouvel élan pour la lutte anticorruption
L’industrie chinoise du capital-investissement vit-elle une crise passagère ou organique?
Destruction des tombes: la réforme foncière en débat
Le gaz de schiste révolutionnera-t-il la gestion de l’énergie en Chine?
Pékin doit-il s’inquiéter du rapprochement entre la Birmanie et les Etats-Unis?
– DÉCALAGE –
La santé mentale a enfin sa loi
Ont contribué à ce numéro: Martina Bassan, Antoine Bondaz, Camille Boullenois, Jérôme Doyon, François Godement, Agatha Kratz, Tanguy Le Pesant, David Péneau, Marie-Hélène Schwoob, Simeng Wang