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La Chine et le Covid-19 : Les cartes seront-elles rebattues ?

Covid (China 3)

Les experts d’Asia Centre ont souhaité faire un point documenté de façon cartographiée sur un certain nombre d’aspects reliés à la propagation du coronavirus dans le cadre de la pandémie actuelle. Par définition, cette étude est datée et les chiffres qu’elle présente ne valent que pour la date de parution. Néanmoins, les données “historiques” qu’elle reprend ont pour objectif aussi de contribuer à l’établissement de bases de données, avec un regard additionnel de remise en question d’évidences ou de fausses évidences, tenant compte aussi de quelques signaux faibles.

Nous vous en souhaitons bonne consultation.

Le Covid-19 a bousculé les Etats et les sociétés en forçant ces dernières à adopter des mesures de confinement totales ou partielles que la Chine a dû mettre en place fin janvier. Une grande partie des médias occidentaux suivaient alors le développement mais pensaient, dans l’ignorance générale, que ce virus ne pouvait atteindre une Europe habituée à observer au loin ces évènements tragiques. Sur la base des précédents épisodes de grippes aviaires ou porcines, ou de l’Ebola, de telles maladies infectieuses étaient réputées ne pouvoir l’atteindre, car celle-ci encore semblait symptomatique d’un environnement caractéristique d’un « pays en développement ».

Si le mode de transmission de l’animal à l’homme ou encore la date exacte d’apparition du virus est floue, le mode de transmission, selon l’OMS, est similaire à celui de la grippe mais avec un degré de contagion plus important, et avec la particularité de se développer de manière asymptomatique chez une partie de ses hôtes. Malgré tout, ce virus a causé plus de 100 000 décès et infecté plus de deux million de personnes selon la John Hopkins University[1], l’université américaine de Baltimore ayant produit une carte mise quotidiennement à jour.

Bien évidemment, peu d’analystes auraient pu prédire l’émergence et l’ampleur d’une telle crise. Mais le premier avertissement, l’augmentation exponentielle de cas en Iran à la mi-février avec plus de 1000 décès liés au Covid-19, aurait pu inciter, à l’image de ce qui s’était passé à Taiwan, à prendre immédiatement des mesures sanitaires massives et de restriction d’entrées, permettant une contamination très contrôlée.

Mais la période est particulière. Fin janvier, des millions de Chinois se sont déplacés ou s’apprêtent à se déplacer pour rendre visite à leur famille pour les festivités du nouvel an chinois débutant le 25 janvier. Ainsi, entre la date perception de l’épidémie du virus aujourd’hui appelé Covid-19, soit à la mi-novembre, et la mise en quarantaine de cette ville le 23 janvier 2020, près de 5 millions de personnes auraient quitté Wuhan[2]. Ces dernières restant principalement dans la province du Hubei, mais d’autres retournées dans les villes reliées à Wuhan par voie terrestre ou aérienne hors de cette région.


Wuhan est en effet une métropole de 11 millions d’habitants située en plein centre des régions les plus peuplées de Chine, un pays de 1 410 557 500 habitants et d’une diaspora de 50 000 000 de personnes dont certaines susceptibles de retourner en Chine pour célébrer les festivités prévues, mais annulées par le gouvernement chinois dès le 24 janvier.

La liberté de circulation étant tout de même limitée pour une grande partie de citoyens chinois, l’aéroport de Wuhan-Tianhe relie les plus grands aéroports du pays, notamment l’aéroport de Pékin, “Beijing-Capital”, le deuxième plus important au monde en nombre de passagers totaux en 2019.

Ainsi, entre novembre 2019 et le 7 février 2020, date à laquelle de nombreux pays ont soit totalement fermé leurs frontières avec la Chine soit imposé des restrictions d’entrées sur leur territoire à tout passager ayant visité la Chine 7 jours auparavant, la diffusion de ce virus à l’ensemble du monde a très bien pu déjà se mettre en place durant ces 82 jours.

Après la réalisation de l’ampleur de l’épidémie et qu’une grande partie des médias occidentaux scrutaient Wuhan, la réponse de Pékin s’est ensuite voulue exemplaire : mise en place mesures de confinement le 23 janvier de la ville de Wuhan, puis de la province du Hubei et enfin mesures sévères affectant la Chine tout entière pour combattre ce virus.

Néanmoins, ces mesures doivent être mises à la perspective de l’hyperconnectivité du hub aérien de Beijing-Capital, affichant plus de 411 liaisons directes avec Pékin, et auquel l’aéroport de Wuhan est directement relié. Excluant les liaisons non directes, soit un changement d’avion dans un autre aéroport et multipliant encore plus le potentiel de diffusion, le confinement de la région du Hubei le 23 janvier clôture le point de départ de l’épidémie, mais non son avancée.

Il est possible à ce jour de présenter plusieurs éléments contextuels ayant compliqué la prise en compte de cette épidémie par les autorités de la province du Hubei.

Tout d’abord, les autorités chinoises suivaient les prévisions de fixation/limitation de la croissance économique à un taux à peine supérieur à 6% sur l’année 2020, le taux le moins élevé depuis la mise en place des réformes d’ouverture économiques mises en place par Deng Xiaoping en 1979[3]. Ce chiffre était calculé à la suite de l’observation des trimestres précédents, de la sophistication de l’économie chinoise, de l’endettement des provinces chinoises et de la mise en place des coûteux projets macroéconomiques et géopolitiques des nouvelles routes de la soie.

La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis débutée par Donald Trump depuis mars 2018 complexifie encore plus la définition de cette ligne rouge (croissance de 6%). L’attention des autorités se portait sur les secteurs les plus touchés par cette guerre commerciale et les négociations entamées avec les responsables politiques américains[4].

Ainsi, une épidémie nécessitant le confinement total d’une ville comportant des industries clés pour l’économie comme le Dongfeng Motor Group, une joint-venture massive fabriquant des composants pour Peugeot-Citroën, Kia, Honda et Renault-Nissan, n’était pas une option envisageable si l’objectif de maintenir ce taux de croissance à 6% devait être respecté.

Un dernier point est que la réunion annuelle de l’assemblée nationale populaire, une assemblée constituée de tous les représentants politiques des provinces se réunissant chaque année en mars afin d’annoncer les résultats de l’année dernière et les objectifs de l’année à venir, aurait probablement exposé les dirigeants de la province du Hubei à de très fortes sanctions si la fermeture de ce pôle industriel pour une épidémie de grippe aurait compliqué la réussite des objectifs nationaux. En effet, à ce moment crucial précédant l’entrée dans une nouvelle décennie importante par elle était censée asseoir les ambitions de Xi Jinping vis-à-vis des nouvelles routes de la soie et voir le retour de la Chine en tant que grande puissance, évoquer une épidémie rappelant le spectre de l’épidémie du SARS de 2003 aurait assombri les perspectives.

C’est aussi pour ces raisons qu’après avoir « contenu » l’épidémie après des mesures assurément impressionnantes[5], Pékin mène une diplomatie médicale et humanitaire envers les pays les plus affectés et les moins préparés à l’épidémie de Covid-19.  La Chine est encore une fois l’usine du monde mais cette fois-ci pour le matériel médical à destination de l’Italie, l’Espagne, la France, la Belgique, l’Iran, le Pakistan, les Philippines, la Serbie, la Tchéquie ou encore l’Irak, tout en investissant dans la recherche internationale d’un vaccin.

Désormais, là où le Covid-19 fragilise les liens entre européens[6] se livrant une « guerre des masques », Pékin affirme avoir contenu l’épidémie à Wuhan et envoie du matériel médical à tous les pays ayant le plus besoin d’aide faute de moyens pour combattre efficacement la diffusion du Coronavirus[7].

Cette aide n’est pas seulement une revanche morale envers les critiques dont Pékin a fait les frais depuis le début de cette épidémie, elle a aussi pour objectif d’effacer des esprits sa prise en compte trop tardive, ce qui a entraîné une crise sanitaire mondiale.

Pékin tente alors de réécrire l’histoire en se présentant comme un Etat fort et stable dans ce contexte difficile. Cette stabilité dont elle fait la promotion par le biais des nouvelles routes de la soie rebaptisées « health silk roads[8] » pour cette occasion se veut aussi destinée aux partenaires commerciaux émettant des doutes sur la capacité de la Chine à honorer ses promesses et qui avaient, peut être trop tôt déjà, émis l’hypothèse d’un ralentissement brutal du géant asiatique.

C’est cette sureté que les marchés recherchent le plus actuellement et dont la Chine a besoin pour tirer un avantage stratégique de cette crise. Dans le « monde d’après le Coronavirus » qui chaque jour met à mal la crédibilité des États-Unis à faire face à cette situation inédite, écharpant même le premier volet de leur puissance[9], les nouvelles routes de la soie sont présentées comme un projet sûr même dans ce contexte de désarroi global.

Néanmoins, ce mégaprojet conduit par Xi Jinping était déjà confronté à de nombreuses questions avant le Covid-19, notamment sur le sujet des financements. Les critiques internes portaient notamment sur le fait qu’une somme colossale est « jetée » hors du pays et ne sert pas les intérêts de la majorité des chinois, tandis que les critiques extérieures décrivaient les partenariats unilatéraux de la Chine comme un « piège de la dette » pour les pays ayant des grandes difficulté à rembourser les sommes colossales prêtées et perdant ainsi une grande part de leur souveraineté[10].

De plus, pour les expert économistes des nouvelles routes de la soie[11], ce projet n’est pour l’instant qu’un amas d’infrastructures et d’accords bilatéraux sans réelle corrélation. La crise sanitaire mondiale et le recul économique qu’elle engendre a de réelles chances de véritablement enterrer ce projet, ou tout du moins d’en compliquer leur réalisation finale telle que le président chinois l’imaginait.

Quoiqu’il en soit, la Chine aura besoin d’une coopération internationale afin d’asseoir ses projets d’ambition mondiale. Le Pew research center avait présenté en décembre 2019 un sondage mondial concernant l’image  de la Chine en 2019[12] et cette étude, quoique très spatialisée, démontrait déjà une forte fracture d’opinion. Cette même étude, cette fois ci en décembre 2020, présenterait-elle les mêmes résultats, transformant la crise sanitaire d’aujourd’hui en une crise de confiance envers la Chine pour demain ?

Aucun scénario n’est à exclure. D’autant plus que les périodes de crises, aussi déstabilisantes soient-elles, sont riches en opportunités, pour qui sachant les saisir…

 

[1] Coronavirus COVID-19 Global Cases by the Center for Systems Science and Engineering : https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6
[2] Josephine Ma and Zhuang Pinghui : « 5 million left Wuhan before lockdown, 1,000 new coronavirus cases expected in city », 26 janvier 2020, South China Morning Post https://www.scmp.com/news/china/society/article/3047720/chinese-premier-li-keqiang-head-coronavirus-crisis-team-outbreak?src=wuhang
[3] Simon Leplâtre : « La croissance de la Chine au plus bas depuis presque trente ans », 18 octobre 2019, Le Monde :  https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/18/la-croissance-chinoise-au-plus-bas-depuis-presque-trente-ans_6016018_3234.html
[4] Weizhen Tan : « The trade war is complicating China’s efforts to fix its economy », 18 juillet 2018, CNBC : https://www.cnbc.com/2018/07/18/us-china-trade-wars-impact-on-chinas-economy.html
[5] Grégory Rozières : « Voici comment la Chine a contenu le coronavirus (et la France va devoir s’y prendre autrement », 3 avril 2020, The Huffington Post : https://www.huffingtonpost.fr/entry/voici-comment-la-chine-a-contenu-le-coronavirus-et-la-france-va-devoir-sy-prendre-autrement_fr_5e5f655ac5b67ed38b3aabb9
[6] Zoe Tidman : « Coronavirus: Czech Republic seizes more than 100,000 face masks sent by China to help Italy tackle spread », 22 mars 2020, The Independent :  https://www.independent.co.uk/news/world/europe/coronavirus-face-masks-china-italy-czech-republic-latest-a9416711.html
[7] Yang Xiaohong : « Same sky, one world : oversea chinese help Europe fight Coronavirus », 15 avril 2020, Xinhuahttp://www.china.org.cn/world/Off_the_Wire/2020-04/15/content_75932502.htm
[8] Lily Kuo : « China sends doctors and masks overseas as domestic coronavirus infections drop », 19 mars 2020, The Guardian : https://www.theguardian.com/world/2020/mar/19/china-positions-itself-as-a-leader-in-tackling-the-coronavirus
[9] Laurent Lagneau : « Covid-19 : Touché par l’épidémie, le porte-avions USS Theodore Roosevelt contraint de faire escale à Guam », 27 mars 2020, Zone Militaire : http://www.opex360.com/2020/03/27/covid-19-touche-par-lepidemie-le-porte-avions-uss-theodore-roosevelt-contraint-de-faire-escale-a-guam/
[10] Richard Javad Heydarian : « China debt trap fears shake the Philippines », 28 mars 2019, Asia Timeshttps://asiatimes.com/2019/03/china-debt-trap-fears-shake-the-philippines/
[11] Plamen Tonchev : « The Belt and Road After COVID-19 », 7 avril 2020, The Diplomat :   https://thediplomat.com/2020/04/the-belt-and-road-after-covid-19/
[12] Laura Silver, Kat Devlin and Christine Huang : « People around the globe are divided in their opinions of China », 5 decembre 2019, Pew Research Center  :  https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/12/05/people-around-the-globe-are-divided-in-their-opinions-of-china/

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