Dans sa dernière chronique pour l’Express, David Baverez, membre du Conseil d’Orientation d’Asia Centre et investisseur installé à Hongkong, se penche sur la faillite d’Evergrande, de ses conséquences sur le secteur immobilier et a posteriori sur le modèle de croissance chinois.
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Pourquoi le choc Evergrande oblige la Chine à repenser son modèle de croissance
Alors que la faillite du colossal promoteur menace de s’étendre à l’ensemble du secteur immobilier, Pékin mise plus que jamais sur la montée en gamme de l’industrie exportatrice. Au détriment des services.
Par David Baverez, investisseur, installé depuis dix ans à Hongkong*
Publié le 23/02/2022 à 10:00, mis à jour à 10:33
Dans l’hebdo du 24 février
Si la contagion est le vilain défaut du variant Omicron, la Chine découvre qu’il en va de même pour les crises immobilières. La faillite du promoteur géant Evergrande, bien loin d’être contenue dans une économie pourtant dirigée, s’étend dangereusement à l’ensemble du secteur, ce qui va amener les autorités chinoises à repenser fondamentalement leur modèle de croissance pour la prochaine décennie.
Car l’immobilier ne représente pas seulement un bon quart du PNB chinois, il a également été depuis plus de vingt ans le principal moteur de la consommation intérieure, du fait de “l’effet-richesse”. C’est en effet grâce à la surévaluation immobilière, estimée aujourd’hui deux fois supérieure à celle observée en Occident, que la population chinoise a pu, avec un niveau d’endettement désormais similaire à celui des Etats-Unis, financer à crédit sa consommation de masse. Un schéma qui atteint mécaniquement ses limites en l’absence de future appréciation immobilière.
Le nouveau vecteur de la croissance aurait dû venir de la digitalisation des services, mais le gouvernement a rappelé l’été dernier que leur futur développement devrait désormais s’effectuer à un rythme compatible avec le contrôle politique de la jeunesse, plus attirée par la découverte du metavers que par la propagande gouvernementale.
Un choix risqué
Le schéma retenu semble se rapprocher du modèle de l’Allemagne ou de la Corée, dont le PNB par tête devrait dépasser celui de la France d’ici seulement quelques années. La montée en gamme de l’industrie exportatrice devrait suivre deux axes privilégiés : l’automation – grâce à l’intelligence artificielle relayée par les semi-conducteurs – et la décarbonation – la capture du carbone étant la prochaine cible stratégique, après les succès obtenus dans la batterie électrique, le solaire ou l’éolien.
On comprend mieux, alors, la vraie nature de la “prospérité commune” promise par le Président Xi. Il s’agit moins d’une addition de prospérités individuelles, telle que conçue en Occident, que de la promesse de l’ascension du pouvoir économique du pays dans son ensemble. Un schéma rappelant celui des Etats-Unis des années 1960, où la foi dans le progrès technologique – symbolisé par la conquête de la Lune – avait galvanisé toute une population.
On se souviendra que Xi Jinping avait, dès le début de son second mandat en 2018, annoncé le programme : la Chine serait d’abord “moderne” de 2020 à 2035, avant de devenir “prospère” de 2035 à 2049. Une manière de prolonger de quinze ans le vieil adage chinois : “Pays riche, peuple pauvre”.
Ce choix de schéma de croissance, qui vise à privilégier l’investissement productif sur l’accélération de la consommation intérieure, est l’inverse de la propagande officielle de la “circulation duale”. Il n’est cependant pas sans risque, comme le montre depuis quelques mois le fort ralentissement économique – plus fort que ne le laissent transparaître les statistiques officielles. Sur un plus long terme, une récente étude de Natixis tablait sur un potentiel de croissance chinoise annuelle capée à seulement 2,5 % à partir de 2030. Une croissance normalisée avec le reste du monde, conséquence de faibles gains de productivité et du déclin annuel de la population.
On voit donc que le plateau atteint par la spéculation immobilière chinoise aura des conséquences bien au-delà de la seule année du Tigre. L’Europe doit se préparer à voir la Chine renforcer sa position mondiale dans des poches d’excellence d’industries d’avenir et, à l’inverse, relativement décevoir dans la consommation de masse, tout comme dans la digitalisation des services B2C.
Un retard à combler dans les services
Et c’est justement là que les Etats-Unis voudront gagner la bataille : en rachetant Activision pour 65 milliards de dollars, soit la plus grosse acquisition de toute l’histoire de la tech mondiale, Microsoft anticipe l’invasion du métavers dans l’univers du jeu vidéo. Mais, surtout, dans celui du logiciel d’entreprise, source majeure de productivité future.
Le tigre chinois aura beau être toutes griffes dehors, il doit absolument combler son retard dans le secteur des services, qui représente 70% des économies les plus développées. Sinon, les Etats-Unis auront toutes les raisons de croire que le temps travaille pour eux.
* David Baverez est investisseur, installé à Hongkong depuis 2011. Il est l’auteur de Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur Éditeur, 2021), dont la version anglaise vient de sortir sous le titre China-Europe: The Turning Point (Westphalia Press, 2022)