Dans sa rubrique “Livre” pour Le Monde, Frédéric Lemaître, correspondant à Pékin, nous apporte son compte rendu sur la 3ème édition du livre de Jean-Pierre Cabestan La Politique internationale de la Chine (Presses de Science Po).
Vous pourrez retrouver l’article en question ci-dessous et en version PDF.
LE MONDE
SAMEDI 30 AVRIL-LUNDI 2 MAI 2022
Livre
LA CHINE À LA CONQUÊTE DU MONDE
Il y a sept ans, en 2015, lorsque le sinologue Jean-Pierre Cabestan achevait la première réédition de son essai La Politique internationale de la Chine (Presses de Science Po), il n’avait pas éprouvé le besoin de modifier le titre de sa conclusion. «Volonté de puissance et fragilités de la Chine populaire», le titre retenu lors de la première publication, en 2010, lui semblait toujours d’actualité. En revanche, dans la troisième édition qui vient de paraître, le directeur de recherche au CNRS change radicalement de perspective. Le titre de sa conclusion sonne désormais comme une mise en garde: « Intégration, volonté de puissance et risques de guerre». Tout est dit.
Depuis l’arrivée de Xi Jinping à la présidence de la République, en mars 2013, la Chine revendique une place centrale dans le concert des nations. Rien que de très normal, vu qu’elle est non seulement le pays le plus peuplé, mais également celui qui, d’ici à la fin de la décennie, devrait produire le plus de richesse, avec un PIB qui s’apprête à détrôner celui des Etats-Unis. Alors que nombre d’historiens et de diplomates s’interrogent pour savoir si la Chine accepte de s’inscrire dans l’ordre international tel qu’il a été redéfini après la seconde guerre mondiale, Jean-Pierre Cabestan remarque que «par sa masse, son histoire, sa rapide remontée en puissance et l’influence internationale qu’elle a acquise ou recouvrée, la Chine ne peut être qu’une puissance presque naturellement, ou plutôt mécaniquement, révisionniste».
Pour qui n’en serait pas convaincu, les 330 pages que l’ouvrage consacre aux différentes relations bilatérales que la Chine entretient avec le reste du monde (Etats-Unis, Japon, Inde, Russie et Asie centrale, Union européenne, pays émergents…) sont éclairantes. On y suit pas à pas la montée en puissance économique, diplomatique, mais aussi militaire de la Chine, pays qui dispose à la fois du premier réseau diplomatique au monde et du plus grand nombre de navires militaires. Mais Jean-Pierre Cabestan ne se contente pas de décrire la diplomatie bilatérale de Pékin, il présente d’abord de façon dé-
taillée les orientations générales de la politique de sécurité de Pékin et les principales instances de décision chargées de les mettre en œuvre. Hormis la psychologie personnelle de Xi Jinping, Jean-Pierre Cabestan passe tous les aspects de la question en revue dans ce livre, qui n’a pas d’équivalent en français.
Nouvelle guerre froide
Comme le titre de la conclusion le prouve, son constat n’est guère optimiste. Car non seulement la Chine est «par nature» révisionniste mais son idéologie l’est également. Et c’est là que le bât blesse. «Plus que jamais, la République populaire compte modifier l’ordre international dans un sens qui lui est favorable, afin non seulement de mieux protéger ses intérêts fondamentaux, mais aussi d’affaiblir l’Occident et plus largement les démocraties, et d’instaurer ainsi son leadership mondial », met en garde ce juriste établi à Hongkong.
Xi Jinping ne s’en est jamais caché. Depuis 2013, on ne compte plus ses discours ou les documents officiels dénonçant le danger que continue de représenter pour la Chine l’Occident. Depuis le XIXe congrès du PCC en 2017, la «supériorité du modèle chinois» est également régulièrement réaffirmée. Glaciale, la rencontre à Anchorage, en mars 2021, entre les principaux diplomates chinois et la nouvelle administration Biden a prouvé que les Chinois n’entendaient plus recevoir de leçons de personne, surtout pas des Etats-Unis. Pour Jean-Pierre Cabestan, nous sommes entrés dans une nouvelle guerre froide, qui pourrait bien devenir chaude, notamment autour de Taïwan. Le risque est d’autant plus grand que la Chine, commes les autres grandes puissances, est enfermée dans sa logique. «Son incapacité à écouter les autres acteurs et plus encore à tenir compte de leurs critiques a pris ces dernières années des
proportions inquiétantes», juge M. Cabestan. Ce n’est qu’un détail, mais que Pékin ait publié son compte rendu du sommet virtuel Chine-Union européenne le 1er avril, avant même la fin de la rencontre, montre que, pour le pouvoir chinois, seule comptait vraiment la déclaration de Xi Jinping.
Si une certaine «désoccidentalisation» du monde semble évidente, la Chine n’a pas forcément partie gagnée, estime Jean-Pierre Cabestan. Son «soft power» a des années lumière de retard sur celui des Etats-Unis, mais aussi de la Corée du Sud et du Japon. Sa montée en puissance, dont témoignent les multiples investissements réalisés à travers le monde par le biais des «nouvelles routes de la soie», s’accompagne certes d’une influence accrue sur la scène internationale, mais même chez ses voisins
– et amis – immédiats, comme la Birmanie (Myanmar) ou le Pakistan, la Chine est davantage spectatrice qu’actrice des luttes intestines pour le pouvoir. Nulle part sauf en mer de Chine du Sud, elle n’est en mesure d’imposer sa loi. Reste la question de Taïwan et les risques de guerre qu’elle comporte, même si, jusqu’à présent, Xi Jinping s’est toujours montré infiniment plus réservé que son «vieil ami» Poutine face à tout recours à la force armée.
FREDERIC LEMAITRE (Pékin, correspondant)
(LA POLITIQUE INTERNATIONALE DE LA CHINE de Jean-Pierre Cabestan, Presses de Sciences Po, 720 p., 26 €)