Qu’est-ce qui préoccupe le plus les Chinois aujourd’hui ? Ce n’est certainement pas Copenhague et le changement climatique, ni les sources de friction qui se multiplient à l’extérieur et d’abord avec les Etats-Unis, mais bien la question du logement. Relancée par l’injection massive de crédits bancaires au début 2009, la hausse de l’immobilier résidentiel a atteint des sommets, et fait la une des grands quotidiens. Au moment même où à l’étranger on s’indigne de la condamnation de Liu Xiaobo, et en général d’un durcissement considérable pour les droits de l’homme, un grand débat de société se déroule néanmoins à ciel ouvert.
La question est cruciale pour la stabilité sociale. Elle rythme la vie d’une jeune génération urbaine pour qui l’accès à la propriété est devenu une aspiration centrale, définissant même un critère standard de réussite sociale. Or en décembre, l’augmentation des prix de l’immobilier atteignait 7,8%, son rythme mensuel le plus élevé depuis plus d’un an, alors que la moyenne nationale mensuelle pour 2009 avait déjà atteint 5,6%. La presse chinoise n’hésite plus à employer le terme de « bulle » et début janvier, le gouvernement annonçait finalement des mesures – limitées – pour restreindre les prêts à l’achat, qui auraient dépassé 1000 milliards de dollars en 2009. Scandales d’expropriation, protestations et violences se multiplient. Avatar, le film à succès de Hollywood, a été vu en Chine comme un éloge du combat des expropriés contre les promoteurs !
Ce numéro donne aussi un éclairage indirect sur l’exécution le 29 décembre d’Akhmal Shaikh, un Britannique convaincu de trafic de drogue en provenance d’Asie centrale. La Chine est aux premières loges du trafic qui explose à partir de l’Afghanistan, et utilise les ressortissants les plus divers pour la contrebande. La dimension de sécurité intérieure est primordiale. On retrouve une dimension très défensive dans l’analyse chinoise d’une coopération possible avec les Etats-Unis – et qui verrait le corridor de Wakhan, à la frontière sino-afghane, devenir une nouvelle voie d’accès. Il y a loin de la coupe aux lèvres, et aucun commentateur chinois n’évoque comment ouvrir, à 4000 mètres et dans des sites escarpés et en perpétuel éboulis, une voie de communication fiable. Pourtant, alors que pour la première fois depuis le début du conflit afghan, deux ingénieurs Chinois ont été enlevés par des Talibans afghans en janvier, la communauté stratégique chinoise, stimulée par les demandes américaines, s’interroge de façon détournée sur une sortie de la neutralité. L’aggravation de la situation afghane, la préoccupation sur le trafic de drogue vers le Xinjiang s’ajoutent aux risques terroristes (peu évoqués aujourd’hui) pour placer les pays frontaliers du grand Ouest chinois au sommet de l’agenda régional de Pékin pour 2010.
Ce numéro de China Analysis revient sur la vision chinoise de « l’échec de Copenhague ». Le refus chinois de normes contraignantes, de vérifications internationales, la rudesse avec laquelle la diplomatie chinoise a traité le président des Etats-Unis ont façonné la vision internationale rétrospective de cet événement. Vu de Chine, le rôle des Etats-Unis est mis en avant : sans accord préalable sino-américain, pas d’avancée possible. La presse chinoise a pris le parti opposé, celui de présenter l’action de Wen Jiabao comme décisive pour atteindre un accord non contraignant ouvrant la voie à un monde moins pollué. A part sur quelques blogs, marginaux, les voix dissonantes sont inaudibles.
En décembre, la machine à planifier l’horizon politique officiel s’est remise en marche : pour la première fois, cinq nouveaux secrétaires du Parti sont désignés à la tête de provinces, entre deux Congrès, et ce sans qu’intervienne un événement particulier. Le recrutement méritocratique d’une sixième génération du Parti y gagne en crédibilité, et permet aussi de démarrer la spéculation sur qui dirigera la Chine…en 2022, après le 20ème Congrès du PCC.
La capacité de Hu Jintao à désigner le successeur de son successeur à la manière de Deng Xiaoping dépendra-t-elle de sa gestion du dossier taiwanais ? Il y a engagé sa crédibilité en transformant les politiques de ses prédécesseurs avec la main tendue au Kuomintang, et la brutalité de la réaction chinoise aux ventes d’armes américaine tient peut-être aussi à ce facteur. Or à Taiwan, le soutien populaire pour Ma Ying-jeou et sa nouvelle politique à l’égard de la Chine ne cesse de fondre, comme l’ont montré les élections locales de décembre. Combien de temps le gouvernement chinois pourra-t-il encore opter pour des politiques visant à favoriser le KMT et à le maintenir au pouvoir si Ma Ying-jeou apparaît de plus en plus faible et incapable de négocier un accord politique avec la Chine ?
Sommaire
– DOSSIER: IMMOBILIER, AUX ORIGINES DE LA BULLE –
Spéculation, relance économique : les ingrédients d’une bulle immobilière
Endiguer la bulle immobilière : une tâche difficile
Encadrer les démolitions et les relogements
– REPERES –
La boîte de Pandore du corridor de Wakhan
Le Xinjiang, nouvelle plaque tournante des drogues du croissant d’or
Copenhague : malgré les Etats-Unis, une avancée
Qui dirige la politique extérieure chinoise ?
Descentes du ciel à l’échelon provincial
Les élections locales à Taïwan, un signal d’alarme pour Ma Ying-jeou ?
– DECALAGES –
Mort et transfiguration de Caijing : l’étonnant parcours de Mme Hu Shuli
Ont contribué à ce numéro : Jean-François Di Meglio, Yann Dompierre, Hubert Kilian, Olivier Moncharmont, François Schichan, Candice Tran Dai, Thibaud Voïta.