Ce numéro automnal survient après l’attribution, le 8 octobre, du prix Nobel de la paix au dissident Liu Xiaobo. L’annonce a accentué le durcissement de la politique étrangère chinoise entrevu depuis le début 2010, avec cette fois des sanctions annoncées contre la Norvège, dont le gouvernement n’exerce pourtant pas de contrôle sur le comité Nobel. Aucune voix décalée n’a filtré dans la presse chinoise, qui s’est contentée de répéter à l’envie – surtout dans ses versions en anglais – la position souverainiste dure, décrivant le vote du comité Nobel comme une attaque « blasphématoire » contre le système judiciaire chinois. La personnalité même de Lu Xiaobo est peu attaquée, toutefois ; la presse utilise surtout des déclarations vieilles de plus de vingt ans du dissident, où il évoquait le « besoin d’Occident » de la culture chinoise, pour le discréditer.
C’est d’ailleurs précisément dans un registre juridique que la presse chinoise aborde les droits de l’homme. L’analyse de la portée d’une réforme du code pénal limitant l’emploi de la peine capitale montre que la réflexion autorisée porte surtout sur l’alignement du droit avec la pratique et sur des réformes cosmétiques. En revanche la diminution des chefs de condamnation, en particulier pour crimes et délits économiques, avait été envisagée mais a finalement été rejetée.
Nous consacrons le dossier de ce numéro aux derniers développements dans les relations entre les deux rives du détroit de Taïwan. L’approfondissement rapide des échanges entre Taïwan et la Chine, initié en mai 2008 après le retour au pouvoir du Kuomintang, a connu en juin dernier un temps fort, avec la signature d’un accord-cadre de coopération économique (ECFA), similaire à un accord de libre-échange limité à certaines catégories de produits, et conçu pour avantager l’économie taïwanaise. Or au deuxième semestre 2010, ce processus est entré dans une phase de ralentissement. A deux ans d’échéances politiques majeures – le 18e congrès du Parti communiste et les présidentielles à Taïwan – la prudence est de mise. Quatre questions s’imposent pourtant sur l’agenda des relations entre les deux rives : l’élargissement du nombre de secteurs économiques inclus dans l’ECFA, l’adoption de mesures de confiance sur le plan militaire, la négociation par Taipei d’accords de libre-échange avec ses partenaires commerciaux et sa participation substantielle aux organes techniques des Nations Unies, et la signature d’un accord politique.
Or par stratégie électorale, Ma Ying-jeou ne peut pas prendre le risque d’apparaître trop « unificationniste » aux yeux d’un électorat qui défend le statu quo. Sur l’autre rive, Pékin hésite. Une approche plus libérale sur l’espace international de Taïwan améliorerait l’image de la Chine, mais risquerait, en cas de retour au pouvoir des indépendantistes, de placer Pékin devant des faits accomplis. Il faut donc s’attendre à des négociations à faible valeur politique, se concentrant sur les échanges économiques et commerciaux, pour compléter l’ECFA sans provoquer de grand mouvement d’opinion à Taiwan. La grande inconnue reste la stratégie électorale du Parti démocrate progressiste. La réforme de son programme est incomplète et peu lisible. Tiraillé entre son électorat indépendantiste radical et l’aile modérée qui domine sa direction, son positionnement sur les relations entre les deux rives sera l’une des clefs des présidentielles de 2012.
Sommaire
– DOSSIER: TAIWAN ET LES RELATIONS ENTRE LES DEUX RIVES –
Retrait des missiles, des propositions insatisfaisantes pour Taipei
Taïwan au miroir des îles Diaoyu/Senkaku/Tiaoyutai
Le DPP dans l’opposition, le retour à une stratégie centriste et modérée ?
L’espace international de Taïwan après la signature de l’ECFA
– REPERES –
La guerre des monnaies : éviter un destin japonais
La réforme du système financier international : intérêts, rapports de force et responsabilités
Les « revenus gris » : la face cachée des inégalités des revenus
Vers un bloc régional pour les négociations climatiques ?
Le débat sur la peine de mort
– DECALAGES –
La loi sur la sécurité sociale attend des arbitrages
Ont contribué à ce numéro : Gong Cheng, Jérôme Doyon, Mathieu Duchâtel, François Godement, Hubert Kilian, Anne Rulliat, Marie-Hélène Schwoob, Thomas Vendryes