« Vers l’Orient compliqué je volais avec des idées simples », a dit un jour le général de Gaulle. Consacré au Moyen-Orient, notre dossier voudrait dégager dans la vision chinoise ce que de Gaulle ajoutait aussitôt à son célèbre aphorisme : la conscience d’une « partie essentielle » qui s’y joue, et la part qu’y prend la Chine.
Or notre dossier, rédigé avant la vague de démocratisation qui saisit la région, montre que la simplification est impossible. Entre la préoccupation sécuritaire – mais Pékin l’exorcise souvent en ramenant notamment terrorisme et intégrisme à des racines sociales et à des fautes de l’hégémonisme américain, le tout-pétrole, et l’application au Moyen-Orient d’une patiente stratégie relationnelle, faite de neutralité, de référence à Bandung, d’émergence commune et même d’un concordat religieux « à la chinoise » : nous ignorons à nos dépens à quel point Pékin juge sa politique religieuse plus avisée que celle de l’Occident dans son ensemble. Mais il y a aussi les limites de la stratégie chinoise : ne pas braquer Washington, et d’ailleurs rester modestes sur une influence commerciale. L’argent chinois lui-même a moins d’atouts vis-à-vis des monarchies pétrolières qu’ailleurs. Le dossier de ce numéro est consacré à la politique chinoise au Moyen-Orient. Somme de relations bilatérales fondées avant tout sur les besoins chinois en énergie ou véritable approche régionale portant des intérêts de puissance ? La crise nucléaire iranienne met chaque jour en lumière les ambigüités de la politique étrangère chinoise, et sa tendance à placer la gestion des contradictions au service du maintien de la stabilité avant la résolution durable des crises de prolifération. Les publications chinoises sur l’Iran tendent soit à présenter le programme nucléaire militaire iranien comme une réponse rationnelle à l’hostilité des Etats-Unis, soit à adopter une attitude agnostique à l’égard des ambitions nucléaires de Téhéran : sans test, pas de preuve formelle.
Notre dossier apporte donc des réponses nuancées à cette question à partir d’analyses contradictoires de spécialistes influents de la région. Certes, des dénominateurs communs existent. La sécurité du Xinjiang est bien un déterminant majeur des relations politiques avec les pays de la région. La dimension idéologique est présente : la Chine affiche sa rhétorique anti-interventionniste. Dès lors, la Chine se nourrit plus des revers américains qu’elle n’entretient une rivalité frontale. Ainsi, Pékin a renoué avec Ankara, malgré l’orage du Xinjjang. Mais la Chine ne dispose guère de recettes nouvelles, comme le révèlent les références quelque peu anachroniques au non-alignement et à « l’esprit de Bandung ». Il y a d’ailleurs deux grands absents de ces analyses : Israël, et la question du régime politique au sein du monde arabe.
Sommaire
– DOSSIER : LA CHINE AU MOYEN-ORIENT –
Les ressorts de la stratégie du « grand voisinage »
Des enjeux plus limités qu’on ne le croit ?
Chine-Turquie : en dépit du Xinjiang…
Le pétrole avant tout
– REPÈRES –
Enrayer la surenchère des « intérêts fondamentaux »
L’unité entre les États-Unis et les voisins d’Asie n’a rien d’inévitable
Les menaces de la politique monétaire américaine, une réponse internationale
Un agenda international pour le Renminbi
Nouvelle victoire électorale en trompe-l’oeil pour le Kuomintang
– DÉCALAGES –
Missile antinavires : la nouvelle arme magique ?
Ont contribué à ce numéro : Cheng Gong, Jérôme Doyon, Mathieu Duchâtel, François Godement, Hubert Kilian, Michal Meidan, Marie-Hélène Schwoob, Alexandre Sheldon-Duplaix, Thomas Vendryes