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Visite de Donald Trump au Japon : un besoin de réussite pour Tokyo

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Première visite d’Etat d’un Président des Etats-Unis depuis celle du Président Obama en avril 2014, cette seconde visite de Donald Trump au Japon du 25 au 28 mai, la précédente datant de novembre 2017, est un moment plus important pour le Premier Ministre Shinzo Abe que pour son visiteur. Elle l’est d’autant plus que Donald Trump reviendra au Japon à la fin juin, à Osaka pour le sommet du G20, réunion qui précédera celle du G7 en France en août. Aussi les dirigeants japonais ont déroulé le « tapis rouge » pour leur imprévisible interlocuteur : rencontre avec le nouvel Empereur (une première pour ce dernier dans sa nouvelle fonction impériale), partie de golf, tournoi de sumo au terme duquel une coupe Trump (surmontée de l’aigle américain) sera remise au vainqueur, inspection d’un porte-hélicoptère… Tout – ou presque – sera fait pour que le séjour japonais de Donald Trump soit une réussite.

Deux thématiques domineront cette visite.

La première, commerciale, comporte une double dimension. D’une part les responsables américains et japonais sont engagés depuis plusieurs mois dans une négociation bilatérale mais celle-ci peine à aboutir. Les négociateurs américains exigent de nouvelles baisses des tarifs douaniers en faveur notamment des produits agricoles, agro-alimentaires et automobiles, et menacent le Japon d’augmentations tarifaires sur leurs exportations d’automobiles et d’équipements automobiles. L’Ambassadeur américain à Tokyo a fait passer le message présidentiel dans la presse nippone : Donald Trump est « franchement et complètement frustré » par ces négociations. Les Japonais ont une longue expérience des pressions américaines depuis le Nixon Shock de 1971 et savent que leur interlocuteur a toujours considéré le Japon comme un partenaire économique déloyal. Ils doivent cependant « résister » compte tenu de leur contexte économique et politique (la préservation du vote libéral-démocrate dans les campagnes et la sauvegarde d’une agriculture qui désormais cherche à développer ses exportations) avant sans doute de « céder » et de faire des concessions de diverses natures. Le débat sur les automobiles est quelque peu étrange ; près de 70 % des voitures japonaises vendues aux Etats-Unis y sont produites et les automobiles américaines n’ont jamais réussi à conquérir une part de marché au Japon où elles sont peu adaptées. D’autre part les tensions entre la Chine et les Etats-Unis inquiètent profondément les responsables nippons et les récentes menaces sur Huawei sont peu rassurantes pour les grands de l’électronique japonaise. Tokyo cherchera donc à mieux connaître les intentions de Donald Trump. Ces tensions sont de nature à affecter la croissance économique chinoise, celle de ses pays partenaires et par effet domino le commerce nippo-chinois ou intra-asiatique. D’ores et déjà les autorités économiques de Tokyo ont annoncé un possible ralentissement de la croissance malgré les bons mais incertains chiffres de début d’année, ce qui a pour effet de relancer les critiques de l’opposition sur la hausse prévue de 8 à 10 % de la taxe à la consommation prévue pour octobre prochain.

L’autre grand thème des discussions entre Donald Trump et Shinzo Abe a trait à la péninsule coréenne. Depuis l’échec de la réunion d’Hanoi entre le Président américain et Kim Jong-un en février dernier, les Japonais qui sont sur la « ligne de front » comme les Coréens du Sud, sont un peu rassurés. Leur attitude de fermeté à l’égard du régime de Pyongyang semble moins isolée et les récents épisodes de lancement de missiles les confortent dans cette fermeté ; leur crainte d’être négligés par l’administration américaine est moins forte. La situation des japonais qui au fil des ans ont été kidnappés par le régime nord-coréen et qui sont morts ou survivent, est un sujet de principe pour Shinzo Abe et émotionnel pour leurs familles et une partie de l’opinion publique : une rencontre avec des familles est organisée pour sensibiliser Donald Trump. D’autre part Shinzo Abe souhaite rencontrer le leader nord-coréen et notamment faire progresser ce sujet comme l’ont fait certains de ses prédécesseurs ; il cherchera l’appui américain. Par ailleurs le Premier Ministre a aussi besoin du soutien de Donald Trump pour améliorer les relations entre Tokyo et Séoul, deux alliés essentiels en Asie du nord dont les différents ne peuvent qu’irriter les Etats-Unis ou être considérés comme des chamailleries. Le Président américain a agi en ce sens lors de la visite du Président sud-coréen à Washington en avril dernier mais les tentatives nippones de demande d’arbitrage au titre des requêtes des anciens travailleurs forcés coréens, jugées légitimes par les plus instances juridiques de Seoul, piétinent.

Par ailleurs Shinzo Abe a l’intention de se rendre à Téhéran à la mi-juin ; il est soucieux de connaître les véritables positions de Donald Trump à l’égard de l’Iran. Le Japon a gardé avec ce pays des relations diplomatiques courtoises depuis 1979 et comme tous les pays d’Asie a besoin d’une stabilité de ses approvisionnements énergétiques.

La presse japonaise cherche à se convaincre de la solidité de l’alliance entre le Japon et les Etats-Unis. Elle compte les rencontres entre les deux leaders (11 en incluant ce séjour), leurs appels téléphoniques (30), leurs parties de golf…voire l’usage des toilettes personnelles du Président américain à la Maison Blanche ! Elle se félicite de certains propos américains comme celui de l’ancien Sous-Secrétaire d’Etat Richard Armitage déclarant que « le Japon est le leader du monde libre ». Pour autant elle sait bien que Donald Trump est imprévisible et connaît son obsession chinoise, s’interroge parfois sur la valeur de la protection militaire américaine. C’est pourquoi le Premier Ministre nippon et son gouvernement font assaut de politesse et de pragmatisme vis-à-vis de celui qui se présente, en toute simplicité, comme un « génie ».

par Jean-Yves Colin, Asia Centre

asiacentre.eu