Le Premier Ministre japonais Shinzo Abe devrait très prochainement se rendre à Téhéran et rencontrer ses homologues iraniens. Ce serait la première visite d’un Premier Ministre japonais en Iran depuis plus de 40 ans.
A Tokyo ce projet de voyage est présenté comme une tentative de médiation entre les dirigeants iraniens et le président Trump, dans le prolongement de la dénonciation de l’accord sur le nucléaire intervenue il y a environ un an et des échanges peu aimables entre iraniens, américains et même européens qui ont suivi. Le Premier ministre Abe s’en est entretenu lors du voyage récent à Tokyo du président américain qui n’y a pas fait obstacle. Il souhaite aussi faciliter une rencontre entre Donald Trump et le président Rohani lors du prochain G20 de fin juin à Osaka si le leader iranien s’y rend et si le Guide Suprême y consent.
Ce déplacement en Iran peut certes surprendre les observateurs plus habitués à voir des nations européennes ou la Russie jouer un rôle de médiation avec le régime des mollahs. En réalité, il n’y a là rien de vraiment surprenant.
Malgré les excès de la révolution iranienne de 1979, le Japon n’a à l’égard de l’Iran ni réserves ni même hostilité comme certains en ont en Occident. Au contraire le Japon éprouve pour l’Iran une forme de sympathie. En effet, pour les dirigeants et une bonne partie de l’opinion publique, l’Iran entretient avec l’Occident une relation mêlant d’une part un intérêt politique, culturel et économique ancien voire une certaine fascination, et d’autre part une réserve voire une franche hostilité vis-à-vis des influences et politiques européennes et américaines. Cela n’est pas sans leur rappeler la situation du Japon avant et après la rénovation Meiji de 1868…et peut-être leur propre inconscient, tout au moins pour les japonais les plus nationalistes !
Cependant en dépit de ce contexte la relation du Japon avec l’Iran est aujourd’hui fondée sur ses intérêts économiques. A l’époque du Shah les approvisionnements pétroliers du Japon provenaient pour plus des deux tiers d’Iran. Après la révolution de 1979 le Japon comme d’autres pays a diversifié ses approvisionnements mais ceux-ci restent en grande partie proche-orientaux. De plus si les grands projets d’investissement pétro-chimiques nippons antérieurs à 1979 ont créé pendant très longtemps des contentieux, ceux-ci ont paradoxalement eu le mérite de maintenir des relations bilatérales par nécessité cordiales. Tout comme pendant la guerre irano-irakienne le Japon a prudemment pris parti de ne pas en prendre. Aujourd’hui l’archipel nippon tient absolument à l’absence de conflits pouvant mettre en danger ses investissements dans la région et ses approvisionnements énergétiques. En ayant eu une implication moindre que les pays européens dans la guerre civile syrienne et en n’étant pas un fournisseur d’armes de la région, le Japon conserve une forme de crédit auprès de beaucoup d’interlocuteurs y compris donc l’Iran.
Reste que le Japon sait très bien qu’il peut jouer un rôle d’intermédiaire utile mais ne sera pas un faiseur de paix ni d’entente cordiale entre Washington et Téhéran. Ce voyage tout comme la visite réussie de Trump à Tokyo et le prochain G20 peut enfin constituer un atout pour Abe à la veille d’élections à la Chambre Haute de la Diète en juillet prochain.
par Jean-Yves Colin (Asia Centre)