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Règlements de (vieux) comptes en Asie du nord

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Depuis plusieurs semaines les relations entre le Japon et la Corée du Sud, qui n’ont jamais été simples au cours des dernières décennies, se sont sensiblement détériorées. Les rencontres entre experts et diplomates à Tokyo et Washington, et les “petites phrases” prononcées à Séoul et Tokyo n’ont abouti qu’à aggraver la situation entre les deux États. A Séoul la tension est montée au point de déclencher des campagnes citoyennes de boycott des produits japonais et l’immolation d’une personne par le feu devant l’ambassade du Japon.
Cette détérioration est née de la décision de Tokyo de réglementer très strictement les exportations de trois composants indispensables à l’industrie électronique sud-coréenne au motif que ceux-ci pourraient servir in fine à la Corée du Nord en raison du réchauffement des relations entre les deux Corée. Cette décision n’est pas sans rappeler le style du Président Trump, et intervient à un moment délicat pour une industrie sous contrainte de la compétition chinoise, d’une hausse de ses coûts domestiques et d’une détérioration de ses résultats.
Cette situation a plusieurs origines :
  • D’une part l’exaspération de Tokyo, en particulier du Premier Shinzô Ministre Abe (en campagne pour les élections à la Chambre Haute de la Diète qu’il a remportées) et d’une partie importante du parti libéral-démocrate au pouvoir, devant ce qu’ils considèrent être un reniement par le gouvernement sud-coréen de l’accord conclu en 2015 avec la présidente alors en exercice, Mme Park Geun-hye (2013-2017), et du traité de 1965 conclu à l’époque de son père, le président Park Chung-hee (1963-1979). Cet accord et ce traité avaient pour objet de mettre un point final à la période  de la colonisation de ce qui fut le Royaume de Corée. Or les relances permanentes en vue d’indemnisations en faveur d’anciennes “femmes de réconfort” qui servirent de prostituées à l’armée impériale nippone (des femmes d’autres nationalités le furent aussi) et d’anciens travailleurs coréens forcés dans des firmes japonaises, tous très âgés, ont été acceptées par des cours de justice coréennes, jusqu’à la Cour Suprême de Corée du Sud pour qui les accords inter-étatiques n’ont pas éteint les recours individuels. En particulier Nippon Steel et Mitsubishi Heavy Industries ont été visées. De ce fait des actions d’entreprises coréennes détenues par des sociétés japonaises ont été mises sous séquestre.
  • D’autre part, il y a quelques années, un vieux contentieux territorial sur l’île de Takeshima (en japonais) ou Dokto (en coréen) que les politiciens les plus sages laissaient reposer tranquillement, a été ravivé par le président conservateur Lee Myun-bak (2008-2013) à des fins purement politiques, attisant les forces les plus nationalistes au Japon et en Corée. Il en est de même de celui relatif à la dénomination de Mer du Japon contestée par Séoul.
  • En réalité, cette détérioration des relations bilatérales est aggravée par le manque de confiance entre le Premier Ministre Abe et le Président Moon. Le premier est un politicien professionnel sans sympathie pour la Corée et les Coréens. Son grand-père, l’ancien Premier Ministre Kishi, plus que son père a fait son éducation politique et lui a inculqué une condescendance certaine à l’égard  de la Corée en raison de son propre parcours politique au moment et après la seconde guerre mondiale. Sûr de son pouvoir, en détenant la plus longue durée d’exercice dans son poste, mais toujours en veille à l’égard de “frondeurs” au sein de son parti, le Premier Ministre Abe n’est guère enclin à la souplesse vis-à-vis du Président Moon. De son côté ce dernier a été le directeur de cabinet du  Président progressiste Roh Moo-hyun (2003-2008), et auparavant son partenaire dans un cabinet d’avocats spécialisé dans la défense des droits de l’homme et du droit du travail. Il est convaincu du bien-fondé des demandes de ses concitoyens à la fois d’indemnisations et de reconnaissance morale des actes passées. De plus il bénéficie toujours d’un soutien populaire important malgré une économie moins performante, et apparaître comme négocier voire céder à Tokyo lui est difficile politiquement.

Cette situation provoque un ressentiment croissant entre une partie de la population japonaise et une partie de celle de Corée du Sud alors qu’au contraire, les années 80-90 avaient vu un rapprochement culturel des deux peuples. Le nationalisme sud-coréen est conforté par le juridisme des positions de Tokyo qui fait abstraction de la problématique politique entre les deux pays, une froideur des politiciens japonais, un manque de compassion de leur part et malgré des excuses impériales, l’absence d’excuses jugées sincères de la part du gouvernement de Tokyo… Les plus fervents soutiens du Président Moon estiment que les accords de 1965 et 2015 ont été le fait de présidents illégitimes et autoritaires. Au Japon, certains considèrent qu’il est impossible de faire confiance à un pays qui renie ses engagements internationaux, et que toute démarche vis-à-vis de Séoul sera suivie d’une surenchère coréenne. Pour d’autres la Corée est  ingrate ; la période coloniale aurait été une “chance” pour la Corée, l’aurait préservée des influences russe et chinoise à la fin du 19ème siècle et aurait contribué à son décollage industriel avant la guerre de Corée, ensuite relayé par l’aide publique au développement nippone. Enfin ils peinent à reconnaître la Corée du Sud comme un grand pays à l’égal du Japon.

Ce regain de tension entre Séoul et Tokyo irrite leur allié et protecteur en dernier recours que sont les États-Unis. Ceux-ci s’exaspèrent de difficultés aux racines historiques anciennes ; ils attendent une stabilité régionale et une coopération pour résoudre le contentieux nucléaire avec la Corée du Nord. Après avoir tenté de jouer une médiation que le Président Trump n’a pas écartée de nouveau, une part de l’establishment de Washington est encline à laisser les deux pays à leurs querelles.

Si le Japon et la Corée du Sud ont connu une histoire tumultueuse et douloureuse, due à l’impérialisme nippon issu de la Restauration Meiji en 1868, ils partagent cependant aujourd’hui des traits communs : un attachement à la démocratie parlementaire et aux libertés publiques, un besoin de contenir la Chine et de ne pas être sous la menace permanente de Pyongyang, le choix d’une économie de marché mondialisée, une manière de vivre voisine et même des racines culturelles communes (que certains japonais ne veulent pas reconnaître). Aussi serait-il raisonnable que les deux gouvernements retrouvent le chemin du dialogue sans se laisser déborder chacun  par un populisme préjudiciable aux deux pays,  et qu’une relation de confiance soit établie  entre MM. Abe et Moon… Mais la sagesse ou la raison est-elle possible entre ces deux pays ?

par Jean-Yves Colin (Asia Centre)
asiacentre.eu