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Vers une désescalade entre Tokyo et Séoul ?

Japan (7)

La dégradation de la relation entre Tokyo et Séoul est devenue de plus en plus vive au fil des mois : les dirigeants coréens ont pu apparaitre arc-boutés sur des exigences morales de réparation et ceux du Japon sur une posture intransigeante de respect des accords de 1965 et 2015 destinés à solder le passé colonial. Deux événements ont particulièrement dégradé cette relation à la mi-2019 : la décision de Tokyo de réglementer strictement les exportations de trois composants indispensables à l’industrie électronique sud-coréenne en réponse aux exigences coréennes ; puis la remise en cause par Seoul du General Security of Military Information Agreement (GSOMIA), accord bilatéral d’échanges d’information.

Néanmoins au cours des dernières semaines des signes de désescalade ont été visibles :

  • Fin octobre la visite officielle du Premier Ministre Lee Nak-yong au moment de la cérémonie d’intronisation de l’Empereur Naruhito. Le Premier Ministre coréen a remis à Abe Shinzô une lettre du Président Moon de félicitations officielles pour l’avènement du nouvel Empereur, faisant état de son espoir d’une coopération accrue entre les deux pays.
  • Début novembre les excuses du  Président de l’Assemblée nationale de Corée, Moon Hee-sang, pour les propos tenus plus tôt en 2019 à l’égard de l’Empereur, au sujet des femmes de réconfort.
  • Également début novembre une première rencontre informelle entre le Premier Ministre nippon et le Président Moon, à l’initiative de ce dernier dans les coulisses d’une réunion régionale. Conversation de 10 minutes, la première depuis 13 mois, elle a renoué un contact direct.
  • À la mi-novembre la réunion à Tokyo de représentants des milieux d’affaires coréens et japonais pour évoquer ces tensions qui nuisent à leurs activités ; par ailleurs rencontre à Bangkok entre le Ministre de la Défense japonais et son homologue coréen en présence du Secrétaire d’État américain pour traiter du GSOMIA.
  • En fin de semaine passée, probablement sous pression américaine, le « gel » par la Corée du sud de sa décision de suspension du GSOMIA. D’autre part lors de la réunion du G20 des Ministres affaires étrangères à Nagoya, puis plus tard à Seoul, la rencontre entre MM. Motegi Toshimitsu et Kang Kyung-wha pour préparer une réunion, cette fois officielle, entre S. Abe et le Président Moon en marge du prochain sommet trilatéral Chine-Japon-Corée du sud en décembre prochain.

 

Ces signes de dégel ou désescalade ont été salués par les américains irrités des tensions entre ses deux alliés essentiels en Asie-Pacifique. Ils sont encourageants mais le chemin vers un accord entre Tokyo et Séoul n’est pas aisé pour diverses raisons :

  • D’abord les différences entre les opinions publiques nippones et coréennes. En Corée les réactions sont chargées d’émotion, émotion des survivants et survivantes victimes de la colonisation nippone mais aussi d’une opinion publique soucieuse de réhabilitation de l’histoire coréenne par les japonais et jugeant chargées d’illégitimité les Présidences Park, père (1963-1979) et fille (2013-2017). Au Japon, on ne retrouve pas cette émotion mais au contraire une certaine indifférence. Pour beaucoup il s’agit d’un passé désormais lointain ;  ils ne parviennent pas à comprendre l’émotion coréenne. Pour d’autres, le Japon n’a pas à se repentir d’actions comparables à celles des pays occidentaux.
  • D’autre part, l’asymétrie des situations politiques de MM. Abe et Moon. Le Premier Ministre japonais n’est pas sous pression de son opinion, que ce soit pour tenir une position de fermeté ou pour engager une conciliation. Au pouvoir depuis 2012 il est non-contesté au sein du LDP et est donc relativement libre de manœuvrer… ou non. De son côté le Président Moon est dans une situation délicate. La récente démission de son Ministre de la Justice qui passait pour un successeur possible au sein du camp progressiste, a ouvert un Acte II de son mandat. Il a perdu une partie de ses soutiens progressistes sans bénéficier d’un appui sur sa droite. Ensuite son rôle d’intermédiation entre son voisin du nord et le Président Trump est au point mort. Enfin la croissance économique coréenne a ralenti ;  ses critiques y voient un effet de mesures sociales trop fortes du début de mandat à contre-temps  de l’économie mondiale.
  • Enfin la justice coréenne est lancée et il est quasi impossible au Président Moon de peser sur elle. A ce stade l’important reste de renouer le dialogue entre les deux dirigeants concernés. Ils diffèrent  par leur histoire personnelle et leur culture politique, mais ils sont embarrassés et cherchent une sortie sans perdre la face, et encore moins créer de nouveaux troubles dans chacun des pays, en Corée sans doute plus qu’au Japon. Le gouvernement coréen a fait plusieurs pas en avant ;  les japonais sont restés sur une position de fermeté caractérisée par le respect des accords antérieurs et le fait que leurs entreprises ne soient pas juridiquement et financièrement menacées en Corée. C’est compréhensible mais sans doute devront-ils à un moment ou un autre faire un pas en avant, sauf à s’enfermer dans un attentisme malsain qui aurait pour seul horizon les prochaines élections présidentielles coréennes. Au-delà d’une solution technique du type fonds de compensation assez aisée à mettre en œuvre – et d’ailleurs prévue par l’accord de 2015 – le Premier Ministre et les politiciens nippons  devront tenir des propos compassionnels, venant plus du cœur que dans le passé, de nature à satisfaire une partie au moins de l’opinion publique coréenne. Il est certain que les racines historiques des tensions resteront vivaces en Corée, signe de l’importance du fait nationaliste dans ce pays et plus généralement en Asie et au Japon.

 

 

par Jean-Yves Colin (Asia Centre)

asiacentre.eu