Les grèves et la démission du Haut Commissaire pour les retraites, Jean-Paul Delevoye, en ce début de semaine font passer inaperçu un événement certes lointain, à Séoul, mais cependant digne d’intérêt : la démission du Premier Ministre (PM) Lee Nak-yon.
Le Président Moon Jae-in vient lui-même d’annoncer cette démission et de faire part de son regret en soulignant les compétences et talents de communicateur de son ex-PM. Il a annoncé en même temps son intention de nommer M. Chung Sye-kyun (69 ans), ancien Président de l’Assemblée Nationale (2016-2018), comme nouveau PM. Politicien expérimenté plusieurs fois réélu, ce dernier était en poste à cette présidence de l’Assemblée Nationale au moment de la destitution l’ancienne Présidente de la République Mme Park ; il est réputé pour son expertise économique.
Ce départ de Lee Nak-yon est une étape importante :
- Il est un prolongement de l’ouverture de l’Acte II de la présidence Moon au moment de la démission du Ministre de la Justice Cho Kuk en fin octobre suite à un scandale impliquant notamment son épouse mais qui avait sans doute des racines plus profondes, le projet de réforme de la Justice et les tensions entre les mondes de la justice et de la politique. Cho Kuk était considéré comme un proche et successeur possible du Président Moon. Sa démission a créé un vide politique et les rumeurs à Séoul sont fortes selon lesquelles Lee Niak-yon emmènera le camp présidentiel aux prochaines échéances électorales dès avril 2020, pour en faire le prochain candidat présidentiel. Quant à M. Chung, s’appuyant sur son passé de parlementaire, il aura pour ambition d’améliorer les relations entre la présidence, le Parlement et les partis d’opposition.
- Si ce départ ne devrait pas modifier substantiellement la politique de la Corée du Sud à l’égard de son voisin du nord, l’arrivée du nouveau PM peut avoir des effets dans deux domaines spécifiques. Tout d’abord l’économie, en particulier à l’égard des milieux d’affaires qui peuvent nourrir l’espoir d’une politique moins sociale, plus sensible à leurs griefs concernant les mesures du début de présidence jugées par eux d’autant plus néfastes qu’elles sont intervenues à la veille d’un ralentissement économique mondial et des tensions entre la Chine et les Etats-Unis. Ensuite ce changement peut affecter les difficiles relations nippo-coréennes.
- Le PM Lee Niak-yon était venu fin octobre au moment de la cérémonie d’intronisation du nouvel Empereur du Japon Naruhito, puis avait rencontré le PM japonais Abe Shinzo et de nombreux interlocuteurs à Tokyo. Il y était apprécié. Sa venue avait entreouvert un début de désescalade entre les deux pays. Son successeur devra gagner la confiance du gouvernement nippon à la veille d’une probable rencontre entre Abe Shinzo et le Président Moon en Chine avant Noël lors d’une Trilatérale Chine-Japon-Corée du sud. Ce changement de PM poussera peut-être Tokyo à prudemment rester dans l’expectative avant de répondre positivement aux ouvertures sud-coréennes de l’automne.
En tout état de cause, ce changement de PM coréen souligne les difficultés du Président Moon, arrivé avec un soutien massif de l’opinion, un rejet non moins massif de l’ancienne Présidente Mme Park et désormais en proie aux vicissitudes du quotidien politique.
Par Jean-Yves Colin (Asia Centre)