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La Corée du Sud et la gestion du Covid, révélatrice d’une grande discipline sociétale

Covid (Korea)

Jean-Yves Colin

Le hasard fait parfois bien les choses. Deux « webinars » – ces séminaires que le coronavirus a popularisés – ont fait un point sur la situation actuelle en Corée du Sud au regard de l’épidémie en cours. L’un était organisé par la FKCCI (Chambre de Commerce et d’Industrie) et réunissait l’Ambassadeur de France en Corée du Sud, un vice-ministre de l’économie et divers experts coréens et français issus des milieux d’affaires et de la santé. L’autre tenu à l’initiative du ministère coréen de la santé et du KHIDI (Korea Health Industry Development Institute) rassemblait des médecins ayant travaillé dans des hôpitaux universitaires (HallymU., Korea U. Yonsei U.) et privés (Samsung). Ils étaient complémentaires et convergents.

En l’état actuel, avec 10 450 contaminés, 7 117 guéris et 208 morts (au 9 avril), pour une population du même ordre de grandeur que celles de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, et avec moins de 50 cas journaliers (27 au 9 avril) recensés de contamination, la Corée du Sud apparaît comme un pays-modèle.

Au-delà des chiffres présentés et des informations médicales fournies, ces « webinars » font ressortir un certain nombre d’éléments :

  • Si le premier cas de coronavirus est apparu le 19 janvier, ce n’est qu’après l’observation du patient n° 31 à Daegu le 18 février que le dispositif de prévention et de traitement a été véritablement engagé. La Corée du Sud a alors bénéficié d’une certaine chance : la concentration de près de 80 % des cas à Daegu et dans la province de Gyeonsang du Nord  suite à un rassemblement de l’église Shincheoji, dont les autorités administratives ont réussi à obtenir la liste des participants (au contraire de la situation observée à Mulhouse).
  • La stratégie du gouvernement, largement approuvée par la population, est dite des « 3 T » . Le « premier T » est le « Testing » (une moyenne de 15 000 tests journaliers soit près de 500 000 au total) avec un usage massif d’applications, voire au recours aux informations données par les cartes de paiement, l’organisation de centres d’examen dédiés et le triage des personnes. Le « second T » est le « Tracing » dans le respect d’un système de protection des libertés individuelles présenté comme très voisin du RGPD européen et auxquelles les coréens sont attachés eu égard aux années de dictature militaire qu’ils ont connues. Le « troisième T » est le « Treatment » dans des hôpitaux identifiés en vue du covid-19, bien équipés et préalablement organisés pour faire face à un risque pandémique. Cette stratégie a été élaborée après l’expérience déjà ancienne du SRAS mais surtout du MERS en 2015.
  • Elle a évité un confinement à la chinoise ou à l’européenne – sauf de facto à Daegu – et promu une distanciation sociale d’autant plus efficace que le port du masque a été généralisé et est habituel. Elle a permis le maintien de l’activité économique ; le premier trimestre 2020 ne devrait pas souffrir d’un recul économique significatif selon les pouvoirs publics. Ceux-ci conscients des risques pesant sur une économie très dépendante des exportations ont cependant mis en place un plan de soutien aux composantes multiples, budgétaires et monétaires, visant surtout les petites et moyennes entreprises, et des secteurs particulièrement fragiles (aviation, tourisme et cinéma). Les chaebols en sont exclus davantage sans doute par principe, le gouvernement du Président Moon Jae-in leur étant peu favorable.

 

Un point de forme également. Ces deux « webinars » ont été caractérisés par des présentations denses, factuelles, qui ne laissaient pas paraître de la part des intervenants coréens une quelconque panique ou agitation mais au contraire un calme qui contraste avec certaines interventions politiques et médicales observées en France. Ces présentations n’étaient pas davantage marquées par un sentiment de supériorité voire une arrogance qui pourraient être légitimes. Au contraire, le maintien d’un état de veille et préparation en cas de deuxième vague prédomine.

Le dispositif présenté est le résultat d’un pragmatisme fort, de la volonté de regarder en face les réalités et en cas de besoin du souci de l’adapter (observé récemment par les restrictions nouvelles à l’ouverture des lieux de nuit (karakoe bar, etc… alors que les lieux de culte étaient déjà fermés). Ce pragmatisme s’accompagne de l’absence de polémiques sur des sujets qui sont vécus ailleurs comme des débats de société, voire philosophiques, ou des conflits entre experts. C’est ce qui apparaissait dans des réponses à des questions relatives à l’impact du « Tracing » sur les libertés individuelles et à l’utilisation de l’hydroxychloroquine.

Certains verront dans cette réussite et cet état d’esprit l’heureux effet d’un sentiment de responsabilité collective plus prévalente qu’en Europe ou en Amérique du Nord malgré les progrès de l’individualisme des dernières décennies, et culpabilisant celui qui mettrait en cause la collectivité petite (la famille) ou grande (son lieu de travail et les personnes qui y sont présentes), et dans son acception la plus vaste, la nation. C’est sans doute vrai en partie.

Toutefois la réponse coréenne à l’épidémie est sans doute à mettre aussi en lien avec la culture du risque qui prévaut dans une nation toujours officiellement en guerre avec son imprévisible voisin du nord. Malgré le passage du temps, la population coréenne est à la fois habituée aux provocations de Pyonyang et aux risques de guerre qui pourraient prendre des formes diverses. Elle et ses dirigeants étaient donc d’autant mieux disposés à préparer une organisation adaptée à une épidémie et à s’assurer de sa mise en œuvre efficace.

asiacentre.eu