Jean-Philippe Eglinger
Sur sa page web réservée au suivi de l’évolution du Covid 19, le Ministère vietnamien de la santé indique qu’au 22/04/2020, le Vietnam a enregistré 268 cas de personnes testées positives, 46 d’entre elles sont encore soignées, 222 sont guéries ; et le Vietnam n’enregistre officiellement aucun mort lié à cette épidémie. Pas de nouveau cas détecté depuis le 17 avril 2020…
Le Vietnam fait donc figure en Asie, avec Taiwan et la Corée du Sud, comme l’un des pays les plus performants dans la gestion de la crise du Covid 19, du moins jusqu’à présent.
De nombreux articles élogieux dans la presse vietnamienne, régionale asiatique, française relatent les excellents résultats enregistrés par ce pays face à la pandémie. Même un ancien haut-fonctionnaire français soigné au Vietnam a fait part de son « admiration » devant la mobilisation dont ont fait preuve les autorités et la société vietnamienne pour faire face à cette épidémie, privilégiant le « collectif » à « l’individualisme »…
Il est vrai que le Vietnam a su prendre des mesures très fortes dès le début de la crise. Les autorités sachant pertinemment que son système de santé ne résisterait pas à une vague d’hospitalisations massive. Et la mémoire de la crise du SRAS et de sa gestion en 2003 devait être encore présente…
Très vite cette épidémie fut considérée par les autorités politiques et les organes de presse comme une « guerre inégale, et qu’il fallait se protéger et tuer l’ennemi dans l’œuf »… élaborant de facto une sorte de doctrine « guerrière » ad hoc pour une population sensibilisée depuis toujours à la notion de « lutte » et de « résistance » nationale… Une « campagne » face à l’épidémie associant la population aux forces institutionnelles…
Outre la presse, fortement mobilisée pour fournir des informations, les blogs, les réseaux sociaux (sous contrôle strict des autorités comme Facebook[1] notamment) et une page Wikipedia du Covid 19 au Vietnam ont également été activés pour suivre et rendre compte de l’évolution de l’épidémie.
Par ailleurs, la population reste informée au jour le jour via l’envoi de SMS, de messages vocaux au début de chaque connexion téléphonique appelant les gens à rester chez eux. Intrusion dans « l’espace privé » parfaitement accepté au nom de la lutte contre l’épidémie comme le souligne M. Phung Ngoc Khoa, chef d’entreprise, basé à Ho Chi Minh Ville.
Au niveau politique et administratif, dès le 30 janvier 2020, une structure unique de coordination a été créée: la Commission Nationale de Prévention et de Lutte contre le Covid dirigée par le vice Premier Ministre Vu Duc Dam (également Ministre de la Santé par intérim). Progressivement cette structure a essaimé sous forme d’organisations similaires qui lui étaient rattachées dans les principaux ministères, provinces, et grandes entreprises d’état. S’appuyant sur les structures du Parti présentes dans ces administrations et entreprises. La gestion de la crise au Vietnam est donc coordonnée au niveau national tout en laissant suffisamment de libertés aux provinces pour qu’elles prennent des décisions spécifiques en local.
Très rapidement, (31/01) les liaisons aériennes Vietnam – Chine furent fermées. Puis on a assisté à la fermeture progressive des liaisons ferroviaires entre les deux pays, ce malgré les réprobations :
- des entreprises vietnamiennes de tourisme :plus de 7 millions de touristes étrangers sur 18 sont des Chinois.
- et des autorités chinoises, en raison du fort impact négatif sur le commerce frontalier ; la Chine étant le premier partenaire commercial du Vietnam (avec environ plus de 115 milliards de USD d’échanges bilatéraux en 2019).
Il y eu aussi le confinement de plus de 7000 travailleurs chinois dans les zones industrielles vietnamiennes en février. Confinement strict, également, de la population au niveau de villages, quartiers et villes en février. Par ailleurs, généralisation des enquêtes policières de proximité systématiques pour contrôler si la population n’a pas été en contact avec un malade identifié.
Le cas « importé » par une jeune vietnamienne revenue de la fashion week à Milan, passée par Paris, et ayant pris le vol VN0054 entre Londres et Hanoi le 2 mars a « relancé » l’épidémie. Celle-ci a infecté son chauffeur et sa tante… Cela a créé une vague de réprobation virulente de la communauté vietnamienne. Car cette jeune personne venait de lancer une « nouvelle vague » alors que tout le monde pensait l’épidémie endiguée.
Cette deuxième vague a aussi vu le nombre de cas « importés » augmenter. Il est à noter que sur les 268 cas, 45 étaient des personnes étrangères, notamment des touristes occidentaux, qui furent affublés du sobriquet « Covid » par la population vietnamienne.
Ceci a entraîné un nouveau durcissement des mesures prônées par la Commission Nationale de Prévention et de Lutte contre le Covid 19. Renforcement du confinement, poursuite de la fermeture des écoles, universités jusqu’au 15 avril, puis au 30 avril. Un dé-confinement progressif par province devrait alors se faire…
Au niveau politique, il est intéressant de noter que les personnes en première ligne de cette campagne de lutte contre le Covid 19, fut principalement, le vice-Premier ministre M. Vu Duc Dam. Le Secrétaire général du Parti et Président de la République restant plus en retrait pour diverses raisons. On peut se demander alors si cette lutte victorieuse, à ce stade, lui permettra-t-elle de pousser ses « pions » dans le cadre de la préparation du XIIIe Congrès du Parti Communiste qui devrait se tenir en janvier 2021.
Cependant, on peut déjà noter, à ce stade, qu’une action précoce en amont de l’hospitalisation a porté ses fruits ; qu’une organisation politique stricte, dotée d’une administration alignée s’appuyant sur une société « collective » se révèle être efficace… ; et qu’au niveau individuel, le port du masque généralisé (une seconde nature) ont fait leur effet…
Nul doute qu’une communication à venir (déjà débutée) vantera les mérites de cette approche sur un plan sanitaire… Ces éléments conjugués ont effectivement permis au Vietnam de contenir, à ce jour, l’épidémie de Covid 19…
Les points en suspens :
Sur la gestion sanitaire de la pandémie, il est encore difficile de dresser un constat exhaustif et définitif, au moment où certains craignent la résurgence d’une nouvelle vague liée au dé-confinement.
Cependant, ce que l’on remarque aussi c’est que le confinement de trois semaines a déjà provoqué une vague de protestation sans précédent dans le monde des PME. Celles-ci sont à bout. Quant aux salariés, ils expriment sur les réseaux sociaux leur impatience de reprendre le travail. Il est vrai que la société vietnamienne semble arriver au bout du bout de ses réserves financières et se trouve dans l’incapacité d’aider financièrement ses entreprises de production à l’arrêt et privées de leurs principaux marchés d’exportation que sont les Etats-Unis et l’Union Européenne. Par ailleurs, les liquidités disponibles ayant été essentiellement investies dans des projets immobiliers spéculatifs (environ 9 milliards€) qui sont eux-aussi à l’arrêt.Déjà fin mars 2020, un magazine vietnamien[2] indiquait « qu’en raison des difficultés liées à l’épidémie du Covid 19, en mars 2020, quelque 6 553 entreprises se sont « retirées du marché » près de 5 920 entreprises sont à l’arrêt complet. Soit, respectivement une augmentation de 55% et de 59,9% par rapport à la même période l’année dernière ».
Le Vietnam se retrouve donc dans une situation encore fragile que les autorités s’emploient à gérer au plus près avec des moyens limités, et qui, à ce jour, sur un plan sanitaire a suscité les satisfécits des observateurs./.
Jean-Philippe Eglinger est président et fondateur de Việt Pháp Strategies.
[1] https://www.journaldequebec.com/2020/04/22/facebook-coupable-de-complicite-avec-la-censure-au-vietnam?fbclid=IwAR2MuR_2trz3k1g27Ay5YL1TtxE1YAr5pUqX2rv5Y0Idz7VTYzdhBXTDcOI
[2] https://www.thesaigontimes.vn/301665/covid-19-khien-hang-chuc-ngan-doanh-nghiep-rut-khoi-thi-truong.html