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Dossier n°3 – Huawei : un bannissement implicite à la française

Huawei

Jean-François Di Meglio, président d’Asia Centre, et Maëlle Lefèvre, chargée de recherche à Asia Centre

Dès 2012, le comité du renseignement de la Chambre aux Etats-Unis avertissait que Huawei pouvait constituer une menace pour la sécurité nationale car son équipement de télécommunications pourrait être utilisé par le gouvernement chinois pour espionner les citoyens américains. Depuis, les sanctions américaines contre le géant de télécommunications se sont multipliées et ce, plus particulièrement dans le cadre de la guerre commerciale entre Washington et Pékin. Ces tensions avaient finalement conduit au bannissement de Huawei aux Etats-Unis en 2018, imités par l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et Taiwan. La question des menaces posées par Huawei à la sécurité nationale de chaque pays qui utiliserait les équipements chinois a pris de l’ampleur dans le cadre de la pandémie, conduisant de nombreux pays européens à revoir leur dispositif de télécommunications et de 5G.

Dès janvier 2020, le Premier Ministre anglais Boris Johnson proposait de restreindre l’accès de Huawei aux réseaux mobiles de nouvelle génération (5G). Fin mai, l’Agence britannique pour la cybersécurité (NCSC) examinait à nouveau les « risques éventuels pour la sécurité du pays posés par les équipements Huawei, suite à la décision américaine d’interdire l’accès au géant chinois à des composants électroniques conçus par des firmes américaines. »[1] Le rapport du NCSC, déposé le 6 juillet au ministère de la culture et du numérique, avait ainsi conclu que les sanctions américaines – l’interdiction décidée en mai d’utiliser des composants électroniques fabriqués aux Etats-Unis, notamment – impactaient Huawei et rendaient ses services moins fiables. Ce rapport avait une nouvelle fois provoqué des menaces de la part de Pékin, l’ambassadeur à Londres Liu Xiaoming déclarant : « nous voulons être vos amis, vos partenaires, mais si vous voulez faire de la Chine un Etat hostile, vous devrez en assumer les conséquences »[2]. Mais les menaces n’ont servi à rien, bien au contraire : le 14 juillet, le gouvernement Johnson a confirmé que Huawei serait banni des réseaux de téléphonie mobile 5G en deux temps. Ainsi, les opérateurs du Royaume-Uni n’auront plus le droit d’acheter du matériel Huawei à partir du 1er janvier 2021 et auront jusqu’à 2027 pour remplacer les logiciels et machines 5G mis en place avant le 31 décembre.

En France, suite au bannissement américain de Huawei en 2018, la question s’était posée de manière plus accrue dans les cercles politico-économiques. Dans le cadre de la pandémie, les services de renseignement français avaient également exprimé leur méfiance vis-à-vis de Huawei : alors que Pékin était accusé dès le 7 avril par un élu américain de « vouloir troquer la livraison de masques à la France contre l’adoption, par Paris, du réseau 5G proposé par l’entreprise chinoise Huawei »[3], conduisant Zhao Lijian, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, ainsi que l’Elysée à démentir, selon les services de renseignement français, « Huawei aurait bien proposé des masques aux entreprises françaises pouvant lui être utiles dans son expansion. »[4] En France, depuis une loi de 2019[5], l’Agence nationale de sécurité des systèmes de l’information (Anssi) est également chargée d’autoriser ou d’interdire l’utilisation d’équipements conçus par Huawei. Dès février 2020, alors que le gouvernement français devait se prononcer sur les demandes d’équipements Huawei de la part des opérateurs pour déployer la 5G, le porte-parole de l’ambassade chinoise en France avait publié un communiqué particulièrement agressif, menaçant de « prendre des mesures de rétorsion à l’égard de Nokia et d’Ericsson »[6] si la France venait à discriminer Huawei. Le 7 juillet 2020, le patron de l’Anssi confirmait également un durcissement de la politique française vis-à-vis de la firme de Shenzhen dans un entretien avec les Echos : « Les opérateurs qui n’utilisent pas Huawei, nous les incitions à ne pas y aller car c’est un peu le sens naturel des choses. Ceux qui l’utilisent déjà, nous délivrons des autorisations dont la durée varie entre trois et huit ans. »[7] Ainsi, on peut parler de bannissement progressif : Free et Orange qui n’utilisent pas les équipements Huawei sont encouragés à continuer sur cette lancée tandis que SFR et Bouygues disposent d’un sursis de trois à huit ans qui n’a qu’un seul objectif, leur permettre d’organiser les démantèlements d’équipements Huawei dans le temps. Bouygues et SFR vont devoir progressivement démonter les antennes et autres équipements Huawei pour les remplacer dans 3000 sites. Bouygues a par ailleurs l’interdiction d’utiliser les produits Huawei dans quatre villes qui sont stratégiques d’un point de vue de sécurité nationale : Brest abritant la base de sous-marins nucléaires de l’île Longue mais aussi un port militaire, Toulouse étant le fief d’Airbus, Rennes et son centre de cybersécurité, ainsi que Strasbourg. Ainsi, en 2028, tous les équipements Huawei auront disparu des zones très denses.

Cette décision illustre également le décalage entre la communication officielle de la France, dans laquelle il est question de coopération et de non-discrimination entre Pékin et Paris dans l’établissement d’un réseau 5G, et la position officieuse de Paris qui, dans les faits, cherche à écarter Huawei de son réseau de télécommunications et ne diffère pas des positions britanniques, beaucoup plus en diapason avec le discours officiel. Et on retrouve cette ambiguïté française dans l’approche d’Emmanuel Macron vis-à-vis de la Chine sur d’autres dossiers comme la question des droits de l’homme.

[1] Cécile Ducourtieux, « Le geste de Londres envers les Hongkongais », Le Monde, 2 juin 2020.
[2] Cécile Ducourtieux, « Montée des tensions entre Londres et Pékin », Le Monde, 9 juillet 2020.
[3] Jacques Follorou, « Le traitement de faveur « des amis français de la Chine » face au coronavirus », Le Monde, 7 juillet 2020.
[4] Ibid. La DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), le SCRT (le Service central du renseignement territorial) et la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) ont fourni à l’Élysée des éléments montrant que l’ambassadeur de Chine ainsi que les consuls chinois ont reçu l’ordre de favoriser « leurs amis français », au cœur de la pandémie, en donnant des masques et du matériel médical par exemple. La mairie du 13ème arrondissement, où se trouve une importante communauté chinoise, aurait ainsi reçu 250 000 masques. De même des villes comme Dijon, Nancy, Strasbourg ou Besançon ont bénéficié de la mobilisation des associations chinoises. Enfin, l’ambassade aurait également encouragé « ses amis français » à profiter des jumelages, comme ce fut le cas entre Papeete qui bénéficia d’un don de 50 000 masques auprès du district de Changning, ou de la Réunion qui reçut 350 000 masques chirurgicaux, 12 000 masques FFP2, officiellement du fait de son jumelage avec la ville de Tianjin. Mais la DGSE souligne l’importance stratégique de la Réunion du fait de son positionnement dans l’Océan Indien.
[5] Une proposition de loi qui reprend la plupart du contenu de l’amendement à la loi Pacte rejeté par le Sénat est déposée le 20 février 2019 au Parlement par le groupe LREM, puis est finalement adoptée au mois de juillet. La presse qualifie le texte de « loi Huawei », ruinant les efforts de communication sur le sujet pour ne pas froisser la Chine.
[6] Pierre Manière, « 5G : la Chine appelle la France à ne pas limiter Huawei », La Tribune, 9 février 2020.
[7] Fabienne Schmitt, Florian Debes, « Il n’y aura pas un bannissement total de Huawei », Les Echos, 6 juillet 2020.

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