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Dossier n°4 – Dégradation de la situation humanitaire à Hong Kong et dans le Xinjiang, une question sur laquelle la France reste timide, notamment dans le cadre de la "realeconomik"

China (extradition)

Jean-François Di Meglio, Président d’Asia Centre, et Maëlle Lefèvre, chargée de recherche à Asia Centre

La première venue d’Emmanuel Macron en Chine le 8 janvier 2018, accompagné de plus de cinquante dirigeants d’entreprises telles qu’Airbus, Dassault, Sodexo, Auchan, avait déjà été interprétée par les observateurs chinois comme l’expression d’un pragmatisme économique du président et de l’importance qu’il accordait aux relations avec la Chine (voir à ce sujet l’article de Yves-Heng Lim publié dans Asia Trends #3 « Un renouveau du partenariat stratégique franco-chinois ? La visite du président Macron vue de Chine »). Les partenariats économiques franco-chinois sont importants dans de nombreux domaines : produits agricoles, industrie de pointe, produits pharmaceutiques, services financiers, aéronautique, énergie, protection de l’environnement, préservation des ressources, économie verte. Les entreprises adhérentes du comité France-Chine créé en 1979 réalisent par exemple 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Chine, les échanges franco-chinois pesant pas moins de 65 milliards d’euros et 11% des exportations françaises allant vers la Chine[i]. Par ailleurs, Emmanuel Macron qui s’était illustré par la faiblesse de sa réaction vis-à-vis de la mort de Liu Xiaobo le 12 juillet 2017, avait, dans ses discours de 2018, également refuser de mentionner les questions des droits de l’homme mais aussi de droit international[ii] dans la majorité de ses discours prononcés en Chine. Un choix dans la continuité de François Hollande qui ne s’était pas exprimé sur l’incarcération d’Ilham Tohti en 2015, ouïgour qui avait été l’invité officiel du Quai d’Orsay en 2010. Emmanuel Macron déclarait ainsi de manière très implicite dans son discours du 8 janvier 2018 à Xi’an : « il y a des différences entre nous qui sont liées à notre histoire, à nos philosophies profondes, et à la nature de nos sociétés ». Puis il ajoutait auprès de journalistes lors de la visite d’une galerie d’art à Pékin : « je peux me faire plaisir en donnant des leçons à la Chine en parlant à la presse française. Ça s’est beaucoup fait, ça n’a aucun résultat. […] Il y a les discussions, pas devant les journalistes, pas de manière ouverte, en tête-à-tête, et qui peuvent être utiles et donner des résultats. C’est celles-là que je favorise. »[iii] Emmanuel Macron définissait sa politique alors en cours et toujours d’actualité, celle d’éviter toute déclaration publique sur les « questions qui fâchent » sans pour autant les ignorer.

Dès l’été 2019, les manifestations à Hong Kong contre la loi d’extradition, un nouveau revers contre la démocratie partielle de la ville toujours plus menacée par l’influence de Pékin, avaient suscité l’inquiétude des différents pays occidentaux. Mais à cette époque, le silence des hommes politiques français était illustrateur de cette volonté de ne pas froisser Pékin. Jean-François Césarini, président du groupe d’amitié France-Taiwan, avait ainsi signé le 8 août 2019 avec une vingtaine d’autres députés de LRM une lettre ouverte afin de dénoncer le « silence assourdissant des responsables politiques français »[iv]. Cette lettre était restée sans réponse mais l’Élysée et le Quai d’Orsay avaient fini par s’exprimer sans trop de verve sur le sujet, Jean-Yves Le Drian déclarant dans un communiqué publié le 14 août sur le site du ministère que la France était attachée aux avantages du statut d’autonomie du territoire hongkongais que sont « l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’autonomie du système judiciaire ». Cependant, Emmanuel Macron s’était de nouveau illustré par son silence vis-à-vis de la question hongkongaise ou de la répression subie par les Ouïghours lors de sa visite en Chine en novembre 2019, se contentant d’appeler au « dialogue » et à la « retenue ». Cette timidité, sinon cet aveu de faiblesse, était en partie justifié par les règles de la diplomatie et le rôle tenu par le Chef de l’Etat français mais témoignait surtout du positionnement de la France, soumise économiquement à la Chine et craignant les risques de représailles en exprimant son opinion.

Cependant, une fois la loi sur la sécurité nationale adoptée à Hong Kong le 30 juin 2020, une ligne rouge était franchie. Le 8 juillet, lors d’une audition devant la Commission des affaires étrangères du Sénat, Jean-Yves Le Drian promettait ainsi de « ne pas rester inactif » face à la mise en place de cette nouvelle loi, déclarant : « il y a vraiment une rupture par rapport à la loi fondamentale de 1997, par rapport au principe « un pays, deux systèmes » […] donc on ne va pas rester comme ça. »[v] Encore une fois, les menaces de la part de Pékin n’ont pas manqué, Zhao Lijian décrétant alors : « les affaires de Hong Kong relèvent des affaires intérieures de la Chine et aucun pays n’a le droit de s’en mêler »[vi]. Ces propos n’ont pas empêché la France d’annoncer le 3 août la suspension de l’accord d’extradition signé le 4 mai 2017 avec Hong Kong. Cette mesure, également prise par l’Allemagne quatre jours plus tôt, par le Royaume-Uni le 20 juillet mais aussi par le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, constitue sans aucun doute l’affirmation d’une politique française plus sévère vis-à-vis de la Chine, bien que restant moins symbolique que les mesures prises par Londres, Taipei ou Canberra pour accueillir des Hongkongais sur leur sol.

La question des Ouïghours a également gagné en ampleur dans la société française, mais timidement. Dès 2015, les autorités chinoises avaient mis en place dans le Xinjiang un appareil de sécurité draconien, qu’elles avaient renforcé en 2017 dans le cadre d’une campagne luttant contre l’extrémisme religieux (去极端化). Les différents rapports publiés par le chercheur allemand Adrian Zenz ont notamment encouragé la prise de conscience internationale et française sur la politique chinoise dans le Xinjiang. Ses études ainsi que les témoignages de victimes Ouïghours recueillis par plusieurs associations de défense des droits de l’homme ou des images diffusées sur le web, comme la vidéo de prisonniers ouïghours publiée en 2019 sur YouTube mais devenue virale en 2020 et sur laquelle Liu Xiaoming avait été interrogé le 19 juillet 2020 par un journaliste de la BBC, semblent corroborer les faits selon lesquels au moins un million d’individus seraient enfermés dans des camps de « ré-éducation », les femmes y subissant des stérilisations forcées qui constituent les signes d’un génocide ethnique. Cependant, ce ne serait que depuis 2019 qu’il y a eu une « énorme avancée dans le traitement de ce sujet par la presse française »[vii], estime Dilnur Reyhan, présidente-fondatrice de l’Institut ouïghour d’Europe, et qui ajoute que cette nouvelle couverture médiatique serait née de la diffusion des China Cables, rendus publics en novembre 2019. A l’étude publiée le 29 juin 2020 par la Jamestown Foundation diffusant notamment l’enquête d’Adrian Zenz, se sont également ajoutées les sanctions américaines avec Donald Trump promulguant le 17 juin une loi pour sanctionner les responsables chinois coupables de « l’internement de masse » des Ouïgours et plaçant le 21 juillet 2020 sur une liste noire 11 entreprises chinoises « impliquées dans des violations des droits humains », les actions de sensibilisation lancées à partir du mardi 30 juin par les membres de l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC)[viii], ainsi que la déclaration commune émise le 30 juin par le Royaume-Uni et signée par 27 pays dont la France et l’Allemagne pour alerter Michelle Bachelet, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, sur la politique chinoise dans le Xinjiang. Autant d’éléments qui ont donné une visibilité grandissante à la situation des Ouïgours et une forme d’impulsion. Ainsi, Jean-Yves Le Drian a haussé le ton le 21 juillet, dénonçant devant l’Assemblée nationale des « pratiques inacceptables » de la Chine puis, devant les sénateurs, déclarant le 22 juillet à propos de ces pratiques : « nous les condamnons avec beaucoup de fermeté. » Jean-Yves Le Drian, dont le ton particulièrement sévère sur cette question pourtant connue de la France depuis plusieurs années était inédit, est également passé à l’étape supérieure en intervenant devant les députés le 28 juillet pour demander cette fois-ci qu’une mission internationale indépendante soit mise en place sous la direction de l’ONU afin d’enquêter sur la politique chinoise dans le Xinjiang. Plus récemment encore, Emmanuel Macron a répondu le 6 septembre 2020 à une lettre qui lui avait été envoyée en juillet et cosignée par une trentaine de parlementaires, dont le député Aurélien Taché (ex-LREM), qualifiant « les camps d’internement, les détentions massives, les disparitions, le travail forcé, les stérilisations forcées, la destruction du patrimoine ouïgour et en particulier les lieux de culte, la surveillance de la population et plus globalement tout le système répressif mis en place dans cette région » de « pratiques inacceptables » que l’Etat français condamne « avec la plus grande fermeté ». Autant de déclarations sans précédent dans la bouche d’un Président qui n’était jusque-là pas très féru de la diplomatie déclaratoire, préférant laisser les diplomates français user de mots crus dans leurs différents écrits concernant l’appareil répressif chinois tandis que l’exécutif publiait des communiqués à la rhétorique plus évasive.

Ces différents discours sur la crise de Hongkong et la situation des Ouïghours qui, de prime abord, paraissent bien légers face aux sanctions et actions prises par les Etats-Unis, reflètent néanmoins un changement de politique française vis-à-vis des questions des droits de l’homme. D’une certaine manière, la pandémie a renforcé des antagonismes déjà à l’œuvre et la fin de la naïveté française vis-à-vis de Pékin a pris forme.

[i] Jean-Michel Bezat, « Le « doux commerce » avec la Chine », Le Monde, 1er septembre 2020.
[ii] C’est seulement dans son discours du 8 janvier 2018 qu’Emmanuel Macron évoque les règles de droit international concernant la situation de la Crimée et de Jérusalem, sans pour autant se référer aux problématiques liées à Pékin, notamment en mer de Chine méridionale et ce, malgré l’arrêt rendu en juillet 2016 par la Cour permanente d’arbitrage.
[iii] « Droits de l’homme : Macron ne veut pas « donner des leçons » à la Chine », L’Orient Le Jour, 10 janvier 2018.
[iv] « Hongkong : des députés LRM critiquent le « silence » de la France », Le Monde, 15 août 2019.
[v] « Loi sur la sécurité nationale à Hong Kong : Pékin met en garde Paris après les propos de Jean-Yves Le Drian », France info, 9 juillet 2020.
[vi] Ibid.
[vii] « Pourquoi la cause ouïghoure peine à prendre en France », Novastan, 16 avril 2020.
[viii] Cette Alliance réunissant plusieurs parlementaires de tendances politiques différentes et venant d’une dizaine de pays du monde (Grande-Bretagne, Etats-Unis, députés européens comme l’Allemand Reinhard Butikofer ou la Slovaque Miriam Lexmann, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Suède, Norvège, Japon) a été fondée le 5 juin 2020. Le but de l’Alliance est de proposer des réponses concrètes aux politiques de la Chine, notamment pour mieux coordonner les politiques des différents pays afin de répondre aux violations des droits de l’homme par Pékin (Xinjiang, Tibet). L’Alliance s’intéresse également à d’autres thématiques comme les nouvelles technologies (5G), le développement durable, le commerce, et les questions du droit international (Mer de Chine, Hong Kong). En termes de parlementaires français, le sénateur André Gattolin (LREM), la députée Isabelle Florennes (Modem) et l’eurodéputé Raphaël Glucksmann ont rejoint l’IPAC.

asiacentre.eu