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Dossier n°5 – La pandémie : une France malade qui ne pardonne pas

Covid

Jean-François Di Meglio, Président d’Asia Centre, et Maëlle Lefèvre, chargée de recherche à Asia Centre

L’épidémie en elle-même constitue un problème entre la France et la Chine. Le manque de transparence de Pékin aux conséquences sanitaires très graves a tout d’abord été vivement critiqué en France : la Chine a prévenu très tardivement l’OMS alors qu’un médecin à Wuhan, Li Wenliang, avait déjà lancé une alerte en décembre 2019 puis avait été sommé de se taire par les autorités locales. Il a été récemment prouvé que Xi Jinping disposait d’informations sur un foyer potentiel d’épidémie bien avant le 7 janvier, puisqu’il s’agissait de la date de réunion du comité permanent du politburo (中央政治局常务委员会分开会议) pour discuter d’une stratégie de gestion du coronavirus en provenance de Wuhan[i]. La France ainsi que les 26 autres membres de l’UE faisaient ainsi partie des 62 pays à soutenir l’Australie dans sa demande pour une enquête indépendante sur l’épidémie du virus. C’est également lors d’une interview accordée au Financial Times le 16 avril 2020 qu’Emmanuel Macron exprimait son désaccord vis-à-vis des pratiques chinoises dans la gestion de la crise, se montrant particulièrement critique. Il déclarait ainsi : « il n’y a pas de comparaison entre les pays où l’information circule librement et les citoyens peuvent critiquer leurs gouvernements et ceux où la vérité a été supprimée. Compte tenu de ces différences, des choix faits et de ce qu’est la Chine aujourd’hui, que je respecte, ne soyons pas assez naïfs pour dire qu’elle a beaucoup mieux géré cela. Nous ne savons pas. Il y a clairement des choses qui se sont produites que nous ne savons pas. »[ii] Le 3 septembre 2020, le chef de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a également annoncé la création d’un comité indépendant d’évaluation dont fait partie le Français Michel Kazatchkine, spécialiste du sida. Ce dernier déclarait d’ailleurs : « l’OMS a eu une certaine complaisance à l’égard de la Chine. Et le fait qu’elle ait envoyé une mission en Chine, puis qu’elle ait été à ce point laudative de la façon dont la Chine a répondu crée un malaise et une impression de biais, on ne peut pas le nier. »[iii]

A ce manque de transparence dénoncé par Paris, s’ajoute une diplomatie particulièrement agressive de la part de la Chine. Cette diplomatie agressive, surtout aux débuts de la pandémie, mêlait ainsi aide sanitaire et discours dénigrant l’Occident de la part de Pékin. En effet, contaminée la première et disposant de plusieurs semaines pour endiguer la vague de contamination qui a ensuite touché l’Europe et le reste du monde, la Chine a profité de ce décalage chronologique pour faire de sa gestion de la crise un modèle sanitaire à exporter mondialement. Le 16 avril, Xi Jinping avait ainsi trente-six communications avec d’autres dirigeants de la planète. Quotidiennement, le journal télévisé de CCTV-1 diffusait des images de colis chinois acheminés dans les pays du monde entier, sur lesquels était inscrite la phrase « China aid for shared future », soit « Aide chinoise pour un avenir partagé ». Plus de 170 spécialistes chinois de la santé se sont rendus en Europe, en Afrique et en Asie du Sud-Est. La « diplomatie des masques », instrument de réécriture de l’histoire par Pékin dont la réputation internationale a été ternie par le virus en provenance du sol chinois, a fortement déplu par son caractère intéressé, qui contraste fortement avec l’aide taïwanaise apportée dans la discrétion et l’humilité[iv] . Les divisions au sein de l’Europe qui se sont alors manifestées ne sont pas nouvelles mais il est certain que Pékin a su les utiliser lors de sa campagne d’aide sanitaire. La Serbie, candidate à l’UE, s’est montrée la plus enthousiaste, sa relation avec Pékin étant définie par la Chine comme « une amitié de fer ». Le président Aleksandar Vucic à la tête d’un pays qui avait déjà installé dans trois villes serbes les technologies de surveillance Huawei[v] déclarait ainsi le 15 mars 2020 : « la solidarité européenne n’existe pas, c’est un conte de fées sur papier »[vi]. De même, Luigi Di Maio, membre du parti Cinque Stelle eurosceptique, a « déclaré que cette aide confortait la stratégie de son parti, qui cherche à prendre ses distances avec l’Union européenne »[vii]. Autant d’éléments qui n’ont pas plu à la France, se faisant le chantre de l’intégration et de la coopération européenne et ce, face à la Chine.

L’agressivité dans le discours chinois était également inédite, usant d’une désinformation aux dépens de la diplomatie qui a profondément agacé les pays européens. Zhao Lijian, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, suggérait ainsi dès la mi-mars que le virus pourrait avoir été importé par l’armée américaine dans la province de Hubei. Des médias officiels chinois ont également déclaré que le virus était peut-être originaire d’Italie et non de Wuhan, rapportant les soi-disant dires d’un chercheur italien réputé, le néphrologue Giuseppe Remuzzi qui a rétabli la vérité en s’entretenant avec Il Foglio. Plus récemment, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi déclarait lors de sa visite le 27 août 2020 en Norvègeque le virus n’était pas nécessairement d’origine chinoise, une affirmation qui contraste avec les propos récents de la virologue Li Meng-Yan, cette dernière déclarant le 12 septembre 2020 détenir les preuves selon lesquelles le virus a bien été conçu en laboratoire. Le fils du président Jair Bolsonaro qui accusait la Chine d’opacité, avait également été insulté par l’ambassadeur chinois au Brésil d’avoir contracté « un virus mental » lorsqu’il avait rencontré Donald Trump en Floride. Et Paris n’a pas été épargné par ces propos peu diplomatiques : le 12 avril 2020, l’ambassadeur chinois en France Lu Shaye[viii] publiait ainsi sur le site officiel une lettre (sans doute écrite par l’ambassadeur lui-même) intitulée « Rétablir des faits distordus. Observations d’un diplomate chinois en poste à Paris. » Le texte vantait à la fois la gestion chinoise de la pandémie, critiquait les mesures prises par les sociétés occidentales, s’en prenait aux hommes politiques et médias « occidentaux antichinois […] inventant des mensonges », et finissait par attaquer personnellement la France, accusant les personnels soignants des Ehpad d’avoir « abandonné leurs postes du jour au lendemain […] laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie. » Autant de déclarations qui ont amené le Quai d’Orsay à convoquer par voie téléphonique Lu Shaye le 14 avril et à adopter un ton ferme face à ces « propos [qui] ne sont pas conformes à la qualité de la relation bilatérale »[ix] entre la France et la Chine.

Le 8 septembre 2020, au Grand Palais du peuple (北京人民大会堂), était également célébrée la « lutte sans relâche pour remporter la grande victoire du socialisme aux caractéristiques chinoises dans la nouvelle ère »[x] (夺取新时代中国特色社会主义伟大胜利而不懈奋斗) ainsi que « la victoire à Wuhan, la victoire au Hubei, la victoire en Chine » (武汉必胜、湖北必胜、中国必胜). Durant cette cérémonie, il s’agissait une nouvelle fois de vanter la gestion de la crise sanitaire comme la manifestation de la supériorité du système politique chinois sur l’Occident. « La lutte de la Chine contre l’épidémie a pleinement démontré l’esprit chinois, la force chinoise et la responsabilité de la Chine » (中国的抗疫斗争,充分展现了中国精神、中国力量、中国担当), déclarait Xi Jinping pour ensuite ajouter « la lutte contre la nouvelle épidémie de coronavirus a obtenu des résultats stratégiques majeurs, démontrant pleinement les avantages significatifs de la direction du Parti communiste chinois et du système socialiste chinois » (抗击新冠肺炎疫情斗争取得重大战略成果,充分展现了中国共产党领导和我国社会主义制度的显著优势). Enfin, l’échec des sociétés occidentales dans la gestion de la crise sanitaire était mentionné mais de manière plus implicite : « Un aspect important de la mesure du succès et de la supériorité du système d’un pays est de voir s’il peut donner des ordres de toutes parts et organiser les parties pour faire face aux risques et défis majeurs […] Cette lutte contre l’épidémie a fortement démontré la supériorité du système national et du système de gouvernance nationale de notre pays » (衡量一个国家的制度是否成功、是否优越,一个重要方面就是看其在重大风险挑战面前,能不能号今四面、组织八方共同应对【。。。】这次抗疫斗争有力彰显了我国国家制度和国家治理体系的优越性。)

Quatre personnalités ont été distingués durant cette célébration : l’expert des maladies respiratoires Zhong Nanshan, Zhang Boli, promoteur de la médecine traditionnelle chinoise, Zhang Dingyu, le responsable de l’hôpital à Wuhan Jinyintan, ainsi que Chen Wei, une scientifique militaire. 500 établissements, 186 membres du PCC et 14 membres à titre posthume, 1499 personnes ainsi que 150 organisations de base du parti ont également été récompensés. Li Wenliang, déclaré « martyr » en avril, n’en faisait cependant pas partie.
Xi Jinping n’a pas manqué d’inclure dans cette « victoire nationale » les Hongkongais et surtout les Taiwanais, dont la gestion s’est pourtant construite en opposition avec celle de la Chine, transparente, apaisée et plus performante, puisque Taiwan n’a même pas dépassé la barre des 10 morts. Xi Jinping déclarait ainsi : «  je voudrais exprimer ma profonde gratitude aux compatriotes de Hong Kong, aux compatriotes de Macao, aux compatriotes de Taiwan et aux Chinois d’outre-mer qui ont activement fourni une assistance » (向踊跃提供援助的香港同胞、偶们同胞、台湾同胞以及海外华侨华人,表示衷心的感谢).

Dans son discours, il était également question d’aide sanitaire distribuée dans le monde entier, reprenant la rhétorique mise en place dès le mois de mars. « Du 15 mars au 6 septembre, la Chine a exporté un total de 151,5 milliards de masques, 1,4 milliard de combinaisons de protection, 230 millions de lunettes, 209 000 ventilateurs, 470 millions de kits de test et 8041 thermomètres infrarouges […] La Chine a aidé à sauver la vie de milliers personnes dans le monde » (从3月15日至9月6日,我国总计出口口罩1515亿只、防护服14亿件、护目镜2.3亿个、呼吸机20.9万台、检测试剂盒4.7亿人分、红外测温仪8014万件【。。。】中国以实际行动帮助玩久了全球成千上万人的生命).

Le terme également devenu à la mode pour désigner les diplomates chinois belliqueux mentionnés précédemment est celui des « loups combattants », en référence au blockbuster chinois « Wolf Warriors » sorti en 2015 et mettant en scène des soldats chinois sauvant le monde. Et si les médias du monde entier s’interrogeaient en avril et en mai sur les résultats sur le long terme de cette rhétorique agressive de la part de Pékin, il semble que les récents évènements de l’actualité confirment l’aspect contreproductif de cette dernière, contre lequel différents intellectuels occidentaux mais également chinois (comme Shi Zan, directeur du Centre de politique mondiale à l’université des affaires étrangères de Chine à Pékin, ou encore l’économiste Hua Sheng) avaient pourtant mis la Chine en garde.

[i] Pour plus de détails voir le compte twitter de Nectar Gan (https://t.co/BePvfh6PoF ) qui met en évidence le fait que dans un premier temps, le rapport de la réunion publié par Xinhua ne mentionnait pas une seule fois le coronavirus (voir le rapport au lien suivant http://www.xinhuanet.com/2020-01/07/c_1125432339.htm ) alors que dans un second temps, Xi Jinping déclarait que durant cette même réunion, il avait évoqué la question du coronavirus « 1月7日, 我主持分开中央政治局常委会会议时, 就对新型冠状病毒肺炎疫情防控工作提出了要求 »).
[ii] Victor Mallet, Roula Khalaf, « Thinking the unthinkable », Financial Times, 17 avril 2020.
[iii] « OMS : l’enquête sur la gestion de la pandémie décolle avec la sélection de onze experts mondiaux », Sud Ouest, 3 septembre 2020.
[iv] Fin juin, Taiwan avait déjà donné un total de 51 millions de masques chirurgicaux, 1,16 million de masques N95, 35 000 thermomètres frontaux, 600 000 blouses et autres fournitures médicales à plus de 80 pays (source : Jaushieh Joseph Wu : « Il est temps d’accueillir enfin Taiwan au sein du système des Nations unies », Le Monde, 4 septembre 2020). Cette aide avait été fournie sans propagande agressive, comme ce fut le cas avec la Chine décrétant que l’aide apportée aux autres nations était le signe de la « supériorité » de son système de gouvernance, si l’on reprend la terminologie de certains médias officiels tels le Global Times.
[v] A ces quelque 1000 caméras à reconnaissance faciale installées dans plus de 800 endroits de Belgrade sur le modèle de la « safe city », s’ajoutent les autres emprunts faits par la Serbie auprès des chinois pour construire autoroutes, chemins de fer, matériel militaire, industries, etc. Ils représentaient en 2018 12% de la dette extérieure du pays.
[vi] L.S, « Entre Belgrade et Pékin, « une amitié de fer » », Libération, 19 juin 2020.
[vii] « La Chine tente de redorer son blason, mais gare à l’effet boomerang », Courrier International, 3 mai 2020
[viii] Il est à noter que Lu Shaye n’est autre que l’ancien ambassadeur au Canada qui s’est illustré par ses déclarations lors de l’arrestation de Meng Wanzhou, la vice-présidente de Huawei, en 2018 : il avait parlé de « suprématie blanche » pour dénoncer la décision d’Ottawa.
[ix] Isabelle Lasserre, « L’ambassadeur de Chine en France recadré par Jean-Yves Le Drian », Le Figaro, 15 avril 2020.
[x] La version intégrale du discours en chinois est disponible au lien suivant : http://www.xinhuanet.com/politics/leaders/2020-09/08/c_1126467958.htm

asiacentre.eu