François Guilbert.
Le 17 novembre, la Commission électorale de l’Union (UEC) a officiellement rendu son verdict sur les élections générales du dimanche 8 novembre. Cette année, 38 271 447 électeurs ont été appelés aux urnes. 13% des électeurs étaient des primo-votants. En moyenne, 71,06% des inscrits se sont exprimés pour désigner leurs élus à la Chambre basse ou chambre des Représentants (Pyithu Hluttaw), à la chambre haute ou chambre des Nationalités (Amyotha Hluttaw), dans les assemblées provinciales et parmi les ministres des Affaires ethniques. Les électeurs ont participé un peu plus au choix des députés du Pyithu Hluttaw qu’à celui des parlementaires de l’Amyotha Hluttaw mais la différence d’une assemblée à l’autre fut infime (17 300 voix). Il est vrai que les électeurs votaient 3 à 4 fois dans le même bureau de vote, le même jour et dans la pratique, d’une urne à l’autre, selon un chemin balisé pour éviter la promiscuité entre les électeurs.
- Un vote très massivement exprimé
7 Etats et régions ont apporté plus de suffrages que la moyenne nationale. 2 sur 5 étaient des Etats ethniques (Chin, Kayah). Le groupe ethnique dominant n’a donc pas été le seul à s’exprimer. La palme de la mobilisation est à décerner à la région de Sagaing (78,6%). Si tous les Etats et toutes les régions ont connu un taux de participation supérieur à 50%, sur la façade orientale on a moins voté, l’Etat Kayin étant le terroir où la mobilisation s’est révélée la plus « médiocre ». 4 des 5 provinces où le ratio a été le plus « faible » ont été des Etats ethniques (Kayin (53,5% ([1]), Môn (57,8%), Kachin (66,2%), Shan (66,6%)). Seule la région du Tanintharyi (66,5%) a figuré dans le peloton de queue. La région de Rangoun n’a pas été très loin des dernières places (9ème rang national avec 68,2%). On s’est donc plus mobilisé dans l’Etat Rakhine (68,9 %) que dans l’ex-capitale. Par rapport à l’ensemble des territoires dits bamars, Rangoun a même connu un ralliement populaire de 6,5 % plus faible que la moyenne des 7 régions dites bamar.
En ces temps de COVID-19, si le taux de participation fut bien plus élevé qu’il ne fut anticipé par nombre d’observateurs et même qu’en 2015 (+3%), cela tient pour partie au nombre des votes anticipés (5 884 420). 1 électeur inscrit sur les listes électorales sur 6,5 s’est exprimé par cette voie. Néanmoins, d’un territoire à l’autre, il a pu exister de grandes disparités. Entre la région qui a eu le moins recours à cette facilité (Mandalay : 19,1%) et l’Etat qui y a le plus fait appel (Kayin : 28%), il n’y a pas moins de 8 points de différence. Ce ne sont pas les Etats et les régions qui ont le plus voté qui ont instrumentalisé le plus le vote par anticipation. Parmi les 5 Etats et régions qui se sont le plus mobilisés, 4 (Mandalay, Magway, Chin, Kayah) sont parmi les 6 du pays à avoir eu le plus petit nombre de votes anticipés. A l’inverse, les 2 Etats (Kayin, Môn) qui ont enregistré les taux les plus élevés de vote par anticipation, c’est là où le taux de mobilisation a été le plus faible (Kayin, Môn). Dans ces Etats ethniques auquel on peut ajouter l’Etat Rakhine, on peut dire que le poids des fonctionnaires civils et militaires fut de toute première importance. D’un point de vue plus politicien, le vote anticipé n’a pas favorisé une formation politique plus qu’une autre. Dans 3 des 5 régions où la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) a fait le plein des sièges (Magway, Mandalay, Tanintharyi), les votes par anticipation ont été plus faibles que la moyenne nationale. A contrario, ce sont dans les Etats ethniques que l’on a déploré le plus grand nombre de bulletins blancs, nuls ou perdus. Dans 4 d’entre eux (Rakhine, Kayah, Kayin, Shan), le taux de déperdition a oscillé entre 5 et 6% alors qu’en pays dit bamar, la chute ne fut en moyenne que de 2,6%. A l’échelle nationale, c’est pour les sièges du Pyithu Hluttaw que les votes non comptabilisés ont été les plus importants (3,0%), par rapport à l’Amyotha Hluttaw (2,7%) et les élus provinciaux ou ethniques (2,4 %). Au regard de ces données, ces ajustements n’ont pu porter atteinte à la sincérité et au sens des résultats. Ces chiffres montrent mêmes que l’interdiction tardive par l’UEC du Parti démocratique uni (UDP) n’a pas eu d’effets. Pourtant, c’est ce que beaucoup craignaient. L’UDP présentait des candidats dans 93% des circonscriptions. Ses 1 131 prétendants équivalaient à 16% de tous les candidats. Non seulement, la disparition de l’UDP de la scène politique n’a pas eu d’impact lors des dépouillements des bulletins de vote mais ses consignes de vote au profit du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP) a été sans conséquence.
Alors que la disparition de l’UDP n’a suscité aucune controverse, l’impossibilité de tenir les scrutins dans 56 circonscriptions (Pyithu Hluttaw : 15 – Amyotha Hluttaw : 7 ; parlement de l’Etat Rakhine : 20 ; parlement de l’Etat Shan : 12) a généré bien plus de polémiques. Cette année, le scrutin n’a pas pu se tenir dans 15 townships dans leur ensemble (Etat Rakhine : 9 ; Etat Shan : 6) et de manière plus partielle dans 4 autres Etats ethniques (Chin, Kachin, Kayin, Môn) et une région (Bago). Si certaines critiques sur les impossibilités territoriales n’avaient pas d’autres objectifs que de discréditer l’UEC et par là même le processus électoral engagé, d’autres relevaient plus de l’absence d’explications explicites de l’UEC ou de ses tergiversations (ex. le township de Paletwa au sud de l’Etat Chin). Les conséquences de ces décisions, nourries pour la plupart par les recommandations non publiques des ministères de forces, sont de laisser vacants 22 sièges nationaux au Pyidaungsu Hltuattaw ([2]) et d’y avoir ramené le seuil de la majorité absolue de 333 voix à 322. Au parlement Rakhine ce sont 20 fauteuils qui ne seront pas occupés et 12 autres dans l’Etat Shan. Pour bien mesurer l’impact de ces sièges vides, il faut retenir que ce sont 4,1% des députés de la chambre des Représentants qui n’ont pas été élus et 4,7% de l’assemblée des Nationalités. A supposer maintenant que tous ces fauteuils puissent être prochainement pourvus, ce qui est peu vraisemblable, et qu’ils soient attribués à des partis s’opposant à la NLD, celle-ci gardera la majorité absolue dans les deux parlements nationaux.
Là où les conséquences sont plus dimensionnantes, c’est dans l’Etat Rakhine. Les deux-tiers des électeurs birmans qui n’ont pas pu se rendre aux urnes sont de cette région. Le nombre de votes exprimés en 2020 représentent 36,3% de ceux décomptés en 2015. Une situation particulièrement pénalisante pour le Parti national de l’Arakan (ANP), 80% des sièges gagnés lors de la législature précédente ont été emportés là où cette année il n’y pas eu de scrutins. A l’échelle locale, 60% des votants potentiels n’ont pas pu effectuer leurs devoirs citoyens et 58,8% des sièges au parlement régional sont sans élu, ce qui rend cette assemblée quasi-ingouvernable pour les 5 années qui viennent ; si elle demeure en l’état ([3]). Reste à savoir maintenant si l’organisation des scrutins dans un avenir prochain sera de l’ordre du possible juridiquement, administrativement et politiquement. Du côté de l’Arakan Army et de la Tatmadaw, on affirme que c’est envisageable, tout comme du côté de la médiation japonaise qui s’y entreprend depuis la mi-novembre. Les autres parties prenantes, à commencer par l’UEC voire le gouvernement civil, sont plus circonspects.
- Des candidatures pluralistes mais un seul vainqueur
Au total ce sont 5639 candidats qui se sont présentés. 27,7% espéraient conquérir un siège au Pyithu Hluttaw, 13,8% l’emporter à l’Amyotha Hluttaw et 58,5% un fauteuil provincial ou ethnique. Si près de 6 candidats sur 10 recherchaient un mandat local, ils avaient, grosso modo, chacun une probabilité pour l’emporter comparable à leurs concitoyens voulant conquérir un mandat national. En moyenne, tout postulant est parti avec 1 chance statistique sur 5 de l’emporter, une probabilité égale selon la chambre visée (Pyithu Hluttaw : 21,0% ; Amyotha Hluttaw : 21,4% ; parlement régional et ministres ethniques : 20,3%). Pour le Pyithu Hluttaw, un mandant dut faire face, en moyenne, à 4,7 rivaux, 4,8 s’il se présentait à l’Amyotha Hluttaw, et 5,1 dans les compétitions provinciales. On a donc bien connu une élection plurielle quant au nombre des candidats, comme des partis.
Les compétiteurs, quelle que soit l’assemblée visée, étaient majoritairement des hommes dans la force de l’âge. Beaucoup d’entre eux sont très éduqués. Dans le cas de la NLD, 80% des candidats sont détenteurs d’un diplôme universitaire. Tous quasiment étaient affiliés également à une formation politique ou à une autre (Pyithu Hluttaw (95,6%), Amyotha Hluttaw (96,5%), parlement régional et ministres ethniques (94,9%)). Quant à l’équilibre des genres, même si le corps électoral est composé à 52,7% de femmes, les candidates ont été encore peu nombreuses : 16,0%, se répartissant de manière très homogène entre les 4 différents scrutins (Pyithu Hluttaw (15,8%); Amyotha Hluttaw (17,2%); assemblées provinciales (15,7%); ministres des affaires ethniques (18,0%)). Un ratio modeste mais qui est progression constante (2010 : 4% ; 2015 : 13%). Il ne peut cependant faire oublier les difficultés rencontrées pour trouver et/ou sélectionner des candidates. L’USDP qui s’était fixé comme objectif d’en présenter 30%, n’a pu, in fine, en aligner que 10%. Mais au printemps 2021, elles seront, sans avoir bénéficié de quotas, 17,3% des parlementaires. Pour la première fois depuis 10 ans, une femme sera associée aux travaux de l’assemblée Kayah. 1 des 2 parlementaires musulmans sera de la gente féminine : Daw Win Mya Mya qui a été élue dans la région de Mandalay. Une évolution pour partie due à une plus forte présence dans les parlements territoriaux (18,0%) qu’à la chambre basse (16,8 %) ou la chambre haute (15,5 %). Cette réalité ne doit pas occulter l’autre profil dominant des élus, une gente mâture. 54,5% des candidats ont plus de 50 ans, 28,6% ont même dépassé la soixantaine. Il y avait plus de candidats septuagénaires (271) que de moins de 30 ans (190). Un cinquième seulement des postulants pouvait faire valoir qu’il n’avait pas franchi la barre des 40 ans.
Si le corps des aspirants aux fonctions parlementaires fut assez homogène, il a été segmenté en 91 formations politiques. Le chiffre élevé des partis concourant est trompeur. 56,5% des candidats appartenaient à 3 partis politiques : la NLD (20%), l’USDP (20%) et le Parti de l’amélioration de l’Union (UBP : 16,4 %). En ajoutant les tous jeunes partis de Daw Thet Thet Khine (Parti des pionniers du peuple (PPP) : 4,1%) et d’U Ko Ko Gyi (Parti populaire (PP) : 2,7%), on dépasse les 63% du total des aspirants parlementaires. Mais dans le premier cas, le parti n’a présenté ses militants que sur 1/3 du territoire et, dans le second, il n’a pu s’appuyer que sur 13,3% de la force de frappe de la NLD. Cette situation fait que l’élection de 2020, comme ses trois devancières (2015, 2012, 1990) a viré au face-à-face de la NLD avec un parti relais de l’armée. L’exposition janique s’est transformée en un véritable triomphe pour la NLD.
L’UEC a attribué 82,3% des 1 117 sièges aux candidats se présentant sous l’étiquette rouge de la NLD. Dans chacun des 4 scrutins, la NLD l’a largement emporté. A la Chambre basse, les partisans de Daw Aung San Suu Kyi ont raflé 81,9% des circonscriptions. A la chambre haute, le résultat a été meilleur encore : 85,7% du total. Enfin, 23 des 27 des portefeuilles de ministres des Affaires ethniques sont revenus à la NLD. Ces rapports de force font que la NLD dispose de plus de sièges que la majorité absolue (+37 à la Chambre des représentants, +25 à la Chambre des Nationalités). Une marge d’autant plus confortable qu’Aung San Suu Kyi n’a pas caché avoir choisi ses soutiens parmi des personnes ayant fait preuve d’une totale loyauté vis-à-vis du parti, sans compter que 80% des sortants ont été reconduits comme candidats. Dès lors, la NLD n’aura pas de difficulté à imposer son candidat à la présidence de la République en février 2021. La perspective de voir un militaire se réinstaller à la tête de l’exécutif s’est éloignée.
Si on examine les résultats sous l’angle ethno-territorial, en pays bamar, il s’agit d’une consécration. La NLD a emporté 100% des sièges, toutes assemblées confondues, dans 4 régions : l’Ayeyarwaddy, Bago, Magway et le Tanintharyi. A la Chambre des Nationalités, elle a fait le grand chelem dans 8 ([4]) des 14 Etats et régions. Dans 4 autres Etats ou régions, elle a obtenu plus des 2/3 des mandats provinciaux (Kayin (76,4%), Chin (88,8%) Rangoun (96,7%), Sagaing (97,3%)). En sus, 4 Etats seront rouges à plus de 60 % (Kayah (60%), Kachin (70%), Môn (73,3 %)). Autrement dit, dans plus de 70 % des Etats ethniques, la NLD pourra compter sur plus de 6 sièges sur 10 dans les parlements. Difficile après une telle performance électorale de considérer, la NLD comme un parti ne pouvant s’appuyer que sur une base uniquement ethno-centrée même si son image et celle de ses dirigeants continuent d’être perçus au travers du prisme bamar. C’est donc la 4ème fois en 30 ans que la NLD terrasse ses rivaux (1990, 2012, 2015, 2020). A chaque fois, ce sont les formations politiques pro-militaires qui ont été défaites (NUP, USDP) et sans que cela soit contestable à la vue de l’ampleur des résultats en nombre de voix ou de sièges. Les résultats de 2020 montrent combien les Birmans continuent à vouloir tourner les pages sombres des périodes de partis uniques. Le Parti de l’unité nationale (NUP) né sur les cendres du Parti du programme socialiste birman (BSPP) a perdu son dernier élu à la chambre des Nationalités après avoir été enregistré en 2015 une baisse de 4 unités de ses effectifs.
La prouesse électorale de la NLD n’a pas été réalisée dans un contexte de « fatigue démocratique ». En 2020, 71,9% des électeurs se sont rendus aux urnes. Par rapport à 2015, pour le Pyithu Hluttaw, ce sont 5 089 226 électeurs supplémentaires (+ 22,6%) qui ont fait leurs devoirs citoyens. Il est intéressant de noter combien le nombre de votants a augmenté par Etats et régions. La progression a été supérieure de plus d’un tiers dans 4 Etats ethniques (Kachin (+38,6%), Kayah (+34,5%), Kayin (+71,8%), Môn (+ 48,1%)) et 2 régions (Rangoun (+35,6%) et Tanintharyi (+38,3%)). A rebours, l’Etat Rakhine, où le nombre d’électeurs a diminué de 63,6%.
Le taux de participation de 2020 est d’autant plus remarquable que tous les citoyens savaient qu’ils prenaient le risque de s’exposer à la COVID-19. Non seulement dans les semaines qui ont précédé la consultation nationale la pandémie ne montra aucun signe de recul mais ses foyers se sont intensifiés tout au long de la campagne et diffusés depuis l’Etat Rakhine vers la région de Rangoun, le centre et le nord du pays. L’attachement à cette expression démocratique est d’autant plus fort qu’il s’agit de la seule tous les 5 ans. Le mode de représentation est aujourd’hui constitutionnellement très limité. Si les citoyens élisent au suffrage universel direct à un tour leurs parlementaires, ils ne choisissent pas d’élus dans leurs environnements de proximité. Dans ce contexte, les élections nationales, concomitantes à celles des assemblées provinciales, sont d’autant plus importantes et leurs résultats intimement corrélés.
- Une victoire incontournable de la Ligue nationale pour la démocratie
Le choix des électeurs est extrêmement partisan. Les candidats « indépendants » ont été peu nombreux (Pyithu Hluttaw : 4,3% ; Amyotha Hluttaw : 3,4% ; parlements provinciaux : 5,0%) mais ceux qui se sont lancés dans l’aventure n’avaient aucune chance d’en sortir victorieux ; cette année moins encore que lors de la précédente législature. Le 8 novembre, aucun candidat dit « indépendant » n’a été élu pour le Pyidaungsu Hluttaw ([5]). Lors des 2 autres scrutins, les résultats ont été à peine meilleurs. 2 candidats sans étiquette ont obtenu un mandat régional (0,2% des élus (1 dans l’Etat Kachin + 1 dans l’Etat Shan ([6]))) et 2 autres, un poste de ministre des Affaires ethniques (7 %des portefeuilles attribués ([7])).
Plus qu’à un vote « émotionnel », la NLD doit l’ampleur de son succès à sa force de frappe militante (4 millions de membres), sa capacité à mettre en œuvre une stratégie numérique pour ses décideurs et une campagne commencée dès que cela fut légalement possible, nombre de ses rivaux tardant à s’organiser, doutant même de la possibilité de tenir un scrutin dans un pays progressivement atteint par la COVID-19. Pour bien comprendre son sens historique, il faut se souvenir que de 1990 à 2020, la NLD est passée à la chambre basse de « 59,8% des voix –79,6% des sièges » à « 57,0% des voix – 77,2% des sièges civils » puis « 68,1% des suffrages – 78,1 % des élus » lors d’élections concurrentielles multipartis. Dans chaque cénacle, la NLD a progressé (chambre des représentants : +3 sièges ; chambre des Nationalités : +3; parlements régionaux : +25 : ministres des Affaires ethniques : +2).
La victoire de la NLD s’est faite, sans le moindre doute, au détriment du Parti de la solidarité et du développement de l’Union. Certes, le parti relais de l’armée peut encore s’enorgueillir d’être le 2ème parti politique du pays mais il devra compter jusqu’au premier trimestre 2026 sur 13 fois moins d’élus que la formation politique dominante. Non seulement, l’USDP n’est plus qu’un parti marginal à l’échelle nationale (Pyithu Hluttaw : 8,2% ; Amyotha Hluttaw : 4,3% ; parlements provinciaux : 6,2% ; ministre ethniques : 0%) mais la territorialisation de ses élus est dorénavant essentiellement sise dans les Etats ethniques (86,9%), et plus précisément dans l’Etat Shan (43,5%). Dans la moitié des Etats et régions, l’USDP n’aura aucun élu dans les assemblées provinciales ([8]). La couleur verte ne dépassera les 10 % des parlementaires locaux que dans 4 Etats (Kachin (10,0%), Kayin (11,7%), Kayah (20,0%), Shan (22,8 %)). Une configuration spatiale qui laisse transparaître un soutien électoral qui n’a tenu qu’au poids local de quelques casernements et aux soutiens apportés par des groupes ethniques armés « amis ».
Si la NLD a défait l’USDP, il n’est pas devenu pour autant un parti unique. Au Pyithu Hluttaw, elle devra compter avec 11 autres formations politiques ([9]) et à l’Amyitha Hluttaw avec 8 partis ([10]). Parmi les ministres des Affaires ethniques, 4 d’entre eux (13,8%) sont affiliés à d’autres partis politiques ([11]). Dans les assemblées provinciales, la NLD devra là prendre en compte 19 partis politiques. Toutefois, assemblée par assemblée, la diversité, à deux exception près, est pour le moins limitée (Etat Kachin (5 partis hors NLD) ; Etat Shan (7 partis politiques hors NLD)). Autrement dit, dans 57,1 % des chambres provinciales la NLD n’aura pas d’opposition, ou tout au plus un autre parti dans l’hémicycle. Enfin, dans 85,7% des cas, il n’y aura pas plus de 3 formations partisanes civiles. Cette géométrie partisane fait que dans 11 à 12 Etats ou régions, la NLD est totalement légitime à demander que le choix du Chief Minister par le président de la République soit en parfaite concordance avec la majorité parlementaire du cru. N’oublions pas, par ailleurs, que les Chief Ministers se présentant pour un nouveau mandat ont tous été réélus. Avec un tiers des élus provinciaux et entre un quart et un cinquième des parlementaires désignés au Pyidaungsu Hltuattaw, le sujet est et sera plus controversé pour les Etats Rakhine et Shan. Il sera nourri par ceux qui veulent la réforme de l’article Article 261(b) de la Constitution de 2008, promue par le chef de l’armée et l’USDP, afin de voir élu les Chief Ministers par les parlementaires provinciaux pour des raisons démocratiques, assurer une représentativité provinciale plus proche des réalités de terrain mais aussi, ne nous voilons pas la face, dans des perspectives plus partisanes visant à contester de facto l’omnipuissance de la NLD. Ces argumentaires aux raisons et aspirations profondes radicalement divergentes, nous les retrouvons dans la mise en accusation post-électorale du système « winner-take-all » qui régit les institutions parlementaires du pays tout en lui offrant une majorité claire et stable. Il est vrai qu’il appelle une bipolarisation aujourd’hui largement fictive tant l’USDP s’est affaibli, tandis qu’aucune alternative, libérale, progressiste et/ou ethnique n’a réellement émergé. Les dissidents de la NLD qui ont enregistré en 2019 le Parti pour la démocratie des nationalités unies (UNDP) n’ont pas eu d’attractivité. Les formations politiques qui se sont présentées à équidistance de la NLD et du tandem Tatmadaw – USDP ont été balayées (cf. PPP, UBP). Du côté des partis ethniques, les résultats ne sont globalement pas là. A l’échelle nationale dans les trois catégories parlementaires, le nombre de formations ethniques ayant vu leurs effectifs stagner ou baisser sont bien plus nombreuses que celles qui ont pu les augmenter (Pyithu Hluttaw : 9 pour 3 ; Amyotha Hluttaw : 6 pour 1 ; assemblées provinciales 11 pour 8).
Pour certains territoires ou formations politiques, ce constat général mérite quelques nuances. Pour le 3ème parti du pays en nombre de sièges, le résultat a pu apparaître quelque peu décevant. La Ligue nationale shan pour la démocratie (SNLD) a perdu un siège à la chambre haute, gagné un à la chambre basse et deux autres en provinces. Même déception du côté de la Ligue nationale chin pour la démocratie (CNLD) puisqu’elle n’a emporté qu’un seul siège, au parlement de l’Etat ethnonyme. On peut considérer que deux coalitions ethno-centrées seulement ont tiré leur épingle du jeu, en ayant plus d’élus nationaux et provinciaux. Le Parti de l’unité môn (MUP) a gagné 6 sièges en région, 3 à la chambre des Nationalités et 2 à la chambre des représentants. Le Parti démocratique de l’Etat Kayah (KySDP) a également bien performé en imposant 3 de ses candidats à la chambre haute, 2 à la chambre basse et 3 à l’assemblée de Loikaw, ce qui lui permet, dans les discussions interpartis, de dire non à la reconduction du Chief Minister NLD de son Etat. Pour autant, se fédérer en un parti coalisé n’est pas nécessairement une garantie de succès, les résultats de la CNLD et du Parti populaire de l’Etat Kachin (KSPP) en ont témoigné par exemple. Ainsi, le KSSP ne disposera dans la nouvelle législature que de 4 élus, 1 au Pyithu Hluttaw et 3 autres en région soit presque autant que le Parti national Wa, voire 3 fois moins que le Parti national Ta-arng ou le Parti de l’organisation nationale Pa-O. Dans la définition et la mise en œuvre de leurs stratégies, les « grands » partis ethniques ne devraient plus sous-estimer l’enracinement local des formations politiques tournées exclusivement vers des groupes ethniques très distinctifs (ex. Lahu, Lisu, Palaung, Pa-O, Wa, Zomi). Agrégés, ces derniers ont obtenu 32 sièges. Ils constituent donc, tous ensemble, la « 4ème force partisane », puisqu’ils ont obtenu plus de sièges que les représentants kachins ou kayins. Dans la même veine, certains « microgroupes » ethniques n’ont pas de représentation en propre. C’est le cas dans la région autonome Danu. Les 4 sièges à pourvoir se sont partagés entre la NLD (3) et l’USDP (1). Un territoire à suivre dans le choix de son exécutif car la loi sur les subdivisions auto-administrées a octroyé 3 sièges à la Tatmadaw. Dans ce cas de figure, les militaires désignés vont-ils respecter la majorité sortie des urnes ou l’inverser? Dans cette partie de l’Etat Shan, comme dans le reste du pays, se pose d’élection en élection la question de l’intérêt de l’armée à continuer à privilégier des relations partisanes avec ses alliés historiques depuis les élections générales de 2010, au premier rang desquels figure l’USDP car la NLD a démontré le 8 novembre qu’elle garde la confiance des élites, des technocrates, d’une partie de l’armée, d’une grande majorité des populations urbaines et d’un large ratio des ruraux. Dans ce contexte, la formation de Daw Aung San Suu Kyi se doit d’être très vigilante à respecter les voix dissidentes, l’équilibre des pouvoirs et adopter des approches de gouvernance inclusives ; autant de facteur qui ne sont pas encore pleinement au cœur de l’ADN de la « démocratie du Myanmar ». Devant la NLD se dressent 5 grands défis politiques dans les mois à venir. Le premier en termes de calendrier sera la désignation du président de la République en février 2021. Le second, sur lequel le parti majoritaire aura peu de prise, sera le choix du vice-président de la République dévolu à un représentant de l’armée. Du nom de cet homme peut dépendre une série d’ajustements de la haute hiérarchie militaire, au sein du commandement-en-chef, à la tête du ministère de la défense et/ou des états-majors d’armée. Le 3ème défi est lié à la constitution d’un gouvernement d’unité nationale et par là-même une Union démocratique fédérale, très probablement sous l’autorité de la Conseillère pour l’Etat Daw Aung San Suu Kyi (75 ans) qui ne peut constitutionnellement être élue présidente. Le 4ème challenge, souvent perçu voir vécu comme le plus symbolique, sera le choix des Chiefs Ministers et celui de leur affiliation partisane. Enfin, le moins débattu et non le moindre des enjeux, aura trait à la politique et sociale de la prochaine législature, dans un contexte coronaviral durable et certainement très contraignant pour la Birmanie comme pour ses voisins.
[1] Les données prises en exemples sont celles des élus au Pyithu Hluttaw.
[2] Phyithu Hluttaw + Amyotha Hluttaw.
[3] Par comparaison, dans l’Etat Shan ce sont 10,9 % des sièges au parlement régional qui sont sans attributaires.
[4] Ayeyawady, Bago, Chin, Magway, Mandalay, Rangoun, Sagaing, Tanintharyi.
[5] Par rapport à 2015, cette catégorie de candidats a régressé de 2 sièges à l’Amotha Hluttaw et d’un autre siège au Pyithu Hluttaw.
[6] Par rapport à 2015, un siège de plus a été ainsi attribué.
[7] Plus un siège par rapport à 2015.
[8] Ayeyarwaddy, Bago, Chin, Magway, Mandalay, Môn et Tanintharyi.
[9] USDP, SNLD, ANP, PNO, TNP, MUP, KySDP, AFP, KSPP, WNP, ZCD.
[10] USDP, ANP, MUP, KysSDP, SNLD, TNP, PNO, NDP (K).
[11] MUP, Lahu National development Party, Lisu National Development Party, KNP, ZCD.