Jean-Yves Colin, chercheur associé à Asia Centre.
Le Japon est en décroissance démographique depuis 2005, et de façon régulière depuis 2009 d’environ 200 000 – 300 000 personnes par an ; sa population est désormais d’environ 126 millions d’habitants. Ce déclin démographique qu’accompagne un vieillissement marqué (plus de 28% de celle-ci a aujourd’hui plus de 65 ans contre 20 % en 2005, avec une perspective de 38 % en 2050), a naturellement un fort impact sur la société et l’économie nippones.
La Corée du Sud est en train de suivre un chemin similaire. Le recensement national effectué par le Ministère de l’intérieur et de la sécurité vient d’indiquer que la population sud-coréenne était de 51,8 millions de personnes à la fin 2020, en baisse pour la première fois de près de 21 000 personnes. Les décès (307 764 en hausse de 3,1% par rapport à 2019) ont excédé les naissances (275 815 en baisse de 10,65%). Il est à noter que Seoul a vu sa population baisser de 60 000 personnes même si la capitale et la province voisine de Gyeonggi ont cru et atteint plus de 26 millions d’habitants, ce qui est probablement dû en partie à la hausse des prix immobiliers à Seoul, sujet de mécontentement politique endémique pour les gouvernements conservateurs et progressistes.
Les « quinquas » sont la classe d’âge la plus importante : 16,7 % du total de la population (les 40-50 ans : 16 %), et les classes des 20-30 ans et des 30-40 ans n’en représentent que respectivement 13,1 % et 13,3 %. L’âge médian coréen est 42,3 ans et l’espérance de vie à la naissance de 82,5 ans à comparer à respectivement 47,7 ans et 85,5 ans au Japon. Alors qu’en 1960 le taux de fécondité était de plus de 6 enfants par femme, il est désormais inférieur à 1 alors qu’il est légèrement supérieur à 1 au Japon.
Ces évolutions ont des causes bien connues : urbanisation, enrichissement des classes moyennes au cours des décennies passées avec en parallèle des conditions de vie paradoxalement incertaines (précarité de certains emplois, coût de l’immobilier, des dépenses d’éducation et de santé…), amélioration de la santé qui entraine un vieillissement de la population et des besoins nouveaux induits. Elles sont aussi la conséquence de l’évolution des mœurs. Au Japon, le modèle dominant de l’après-guerre jusqu’au début des années 1970 n’attire plus : celui d’un couple marié jeune (autrefois par « omiae » – arrangement) avec deux enfants, dans lequel le mari travaille et l’épouse a pour tâches principales l’entretien d’une maison en périphérie d’une grande agglomération (de préférence à un appartement si le couple en a les moyens) ainsi que l’éducation des enfants de la prime enfance jusqu’aux concours universitaires. Ce modèle a été peu ou prou celui en vigueur en Corée jusqu’au tournant du siècle. Dans les deux pays il a perdu son attrait, notamment dans les grandes métropoles et pour les femmes. Les mariages sont devenus plus tardifs, les divorces ont cru y compris au moment des départs en retraite, les femmes ont cherché à s’assurer une indépendance professionnelle, les naissances interviennent de plus en plus tardivement après le mariage (près d’un couple sur cinq est sans enfant après 5 ans de mariage) et certains couples préfèrent ne pas avoir d’enfant, un nombre croissant de jeunes et de couples indiquent ne pas avoir d’intérêt pour les activités sexuelles… Le résultat de l’ensemble de ces facteurs a été un déclin de la population observé d’abord au Japon, désormais en Corée et qui à bien des égards n’est pas très différent à Taiwan ou Singapour, voire dans les grandes conurbations de la Chine.
Cette décroissance de la population coréenne soulève différentes questions qui seront pérennes tant les phénomènes démographiques relèvent du long terme. La première tient aux moyens de relancer la natalité. Le gouvernement coréen a d’ores et déjà décidé le versement d’allocations à la naissance dès le premier enfant (environ 1 500 €) et d’autres mensuelles ainsi que pendant le congé parental autorisé. Divers observateurs font valoir que des mesures financières sont très largement insuffisantes et qu’il faut créer un environnement propice aux naissances en s’attaquant au coût de l’éducation ( incluant celui des cours privés complémentaires à l’enseignement obligatoire), à la généralisation des crèches, à la précarité de l’emploi et à la difficulté de se loger à un coût raisonnable, voire en relançant le vieux projet de déménager la capitale pour rompre la concentration croissante de la population coréenne dont la moitié vit dans l’aire métropolitaine de Seoul (un projet identique évoqué au Japon à plusieurs reprises dans le passé est resté en l’état). Il n’est pas certain pour autant que tout cela suffise aussi longtemps que les changements de mœurs intervenus dans les vingt dernières années ou relatifs à la sexualité perdureront. A cet égard l’exemple japonais est édifiant puisque les mesures financières et les discours volontaristes, voire moralisateurs, des gouvernements depuis les années 1990 n’ont pas inversé l’évolution démographique.
La baisse de la population et son vieillissement pose d’autres questions comme la baisse de la population active, le coût des retraites et les soins aux personnes âgées et dépendantes. S’agissant de l’âge de départ en retraite il est au Japon de 65 ans depuis 1994 et l’objectif gouvernemental est de le porter à 70 ans (80 ans pour les fonctionnaires sur la base du volontariat) ; pour autant beaucoup d’entreprises se séparent de leurs employés vers 59 ou 60 ans moyennant une indemnité de départ plus ou moins élevée selon le grade et la contribution de ce dernier, et lui laissent le besoin de combler par un nouvel emploi, moins valorisant, le besoin de ressources résultant de l’absence de versement des pensions officielles avant l’âge légal. Le dispositif coréen n’est guère différent, avec parfois un âge de départ effectif et officiel plus avancé que 60 ans. Au Japon et en Corée du Sud les gouvernements ont clairement fait le choix d’une adaptation quasiment permanente des critères qualifiés en France de « paramétriques » pour gérer le coût des retraites et contenir leur impact budgétaire.
La question migratoire est un sujet délicat pour les deux pays très peu accoutumés à la présence d’une population d’origine étrangère sur leur sol – si l’on fait exception des citoyens japonais d’origine coréenne dont l’origine familiale tient aux déplacements forcés de coréens pendant la période coloniale de la péninsule coréenne. De plus dans les deux pays un sentiment diffus du caractère «unique» de leur population est prégnant. Enfin la question migratoire en Europe et en Amérique du Nord n’y est assurément pas vécue comme exemplaire. Même si des immigrés chinois ou venant d’Asie du Sud-Est sont présents dans les deux pays, il est probable que la réponse spontanée à la baisse de la population active en Corée sera comme au Japon, d’une part d’inciter les femmes et personnes âgées à travailler davantage et d’autre part d’avoir recours à une robotisation et digitalisation accrue de l’industrie et des services, la technologie n’y étant pas considérée comme un risque mais plutôt comme une chance.
Au Japon, après les années de très forte croissance qui ont trouvé un terme définitif avec l’éclatement de la bulle financière en 1990, déclin démographique et faible croissance sont allés en parallèle. Certes la crise financière du début des années 1990, puis les suivantes venues de l’étranger ont pesé sur la croissance et affecté les performances économiques – le Japon reste cependant la troisième économie mondiale – mais les transformations démographiques ont aussi joué un rôle structurant. Il est probable que la Corée du Sud qui suit attentivement tout ce qui se passe dans l’archipel, comme d’ailleurs la Chine et les autres économies développées d’Asie, cherchera à éviter les déboires japonais mais la maîtrise de la démographie est un sujet ardu pour tout gouvernement.