Jean-Yves Colin, chercheur associé Asia Centre.
Le mois de septembre a vu un regain de tensions s’agissant de la nucléarisation de la Corée du Nord. L’effervescence diplomatique autour de ce pays observée au printemps (cf. post du 6 avril 2021), pouvant faire croire à l’esquisse d’une détente possible, semble en partie retombée.
Ce fut d’abord, tout début septembre, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA) faisant état d’un rejet, depuis juillet, d’eau issue du refroidissement du site nucléaire de Yongbyon au nord de Pyongyang, qui produit du plutonium à usage militaire. Puis au cours du week end des 11 et 12 septembre, le lancement de missiles de croisière qui auraient parcouru 1500 kms avant de s’abîmer en mer. Selon certains officiels militaires japonais ont estimé, ces missiles n’ont pas atteint leur cible. Enfin le mercredi 15 septembre deux nouveaux missiles de courte distance, 800 kms selon les autorités nord-coréennes, 750 kms selon celles du Japon, se sont également abîmé dans la mer du Japon (ou de l’Est selon la dénomination coréenne). Ce dernier test a eu pour particularité d’être réalisé depuis un train pour démontrer la capacité de mobilité de la défense nord-coréenne. Selon le gouvernement japonais qui avait dans un premier temps affirmé que ces missiles étaient tombés hors de la Zone économique exclusive nippone (ZEE), leur trajectoire les aurait amenés à l’intérieur de cette ZEE, à environ 300 kms au nord de Hegurajima, une île de la péninsule de Noto ; le ministère de la défense considère que ces missiles peuvent être guidés pendant le vol, laissant entendre un soupçon d’intentionnalité.
Ces développements récents ont naturellement suscité la réprobation de la Corée du Sud, des Etats-Unis et du Japon dont le Premier ministre a qualifié de « scandaleux » ces tests. De son côté la France « condamne ces essais qui constituent des violations flagrantes des résolutions de l’ONU ».
Le Ministre chinois des Affaires Etrangères, Wang Yi, alors en visite officielle à Seoul a souligné que « ce n’est pas seulement la Corée du Nord, mais les autres pays qui s’engagent dans des activités militaires…nous devons tous travailler ensemble pour reprendre le dialogue ».
Il est vrai que la Corée du Nord ne peut qu’être insatisfaite des exercices militaires conjoints menés dans la seconde quinzaine d’août par les Etats-Unis et la Corée du Sud et du lancement, le jour même du dernier test nord-coréen, d’un missile sud-coréen mer-sol depuis un sous-marin, sous la supervision directe du Président Moon Jae-in. Ce lancement a permis à son pays de devenir le septième capable de le faire après les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Inde et a quelque peu « volé la vedette » à Pyongyang. Les militaires nord-coréens ont cependant dénigré cet essai en qualifiant ce missile « d’arme rudimentaire et balbutiante, en phase élémentaire de développement ». La Corée du Sud a également indiqué avoir développé de nouveaux missiles air-sol et d’autres capables de pénétrer les bunkers souterrains nord-coréens.
Kim Yo-jong, la sœur du dirigeant nord-coréen, dont les propos sont très souvent très fermes, voire agressifs, a déclaré au moment des exercices militaires américano-sud-coréens que la dégradation de la situation dans la péninsule coréenne durerait aussi longtemps que les forces américaines (environ 26 000 personnes) resteraient en Corée du Sud. Elle a aussi critiqué la présence du Président Moon lors de l’essai de missile sol-mer du mercredi 15, l’accusant de « calomnie » et de « provocation » à l’égard de la Corée du Nord ; la Maison Bleue a qualifié ces remarques de «stupides et inopportunes ».
Si fin juillet le rétablissement des canaux de communication entre les deux Corées pouvait laisser penser à une « restauration de la confiance mutuelle » selon le Président Moon, les événements récents font craindre le contraire. Kim Yo-jong a d’ailleurs envisagé la « destruction complète » des relations entre les deux pays. Le représentant américain pour la péninsule coréenne, Sung Kim, celui de Corée du Sud pour la sécurité et la paix de la péninsule, Noh Kyu-duk, et le directeur général japonais des affaires asiatiques et océaniennes Funakoshi Takehiro, ont tenu une réunion au moment des tests simultanés des deux Corée mais prévue bien auparavant. On ne connait pas la teneur de leurs échanges mais on peut imaginer qu’ils ne s’éloignent guère du discours de Washington cherchant à renouer le dialogue avec Pyongyang sur des objectifs ciblés et calibrés.
Ce dialogue est dans l’impasse depuis l’échec de la réunion de Hanoi de février 2019 entre le Président Trump et leader nord-coréen Jim Jong-un. En réalité aucune des voies pratiquées depuis les années 1990 par les administrations américaines et les gouvernements coréens n’ont abouti à un véritable démarrage de la dénucléarisation de la Corée du Nord. Ce ne fut le cas ni des négociations diplomatiques engagées sous la présidence Clinton et en partie reprises par la diplomatie de « patience stratégique » d’Obama, ni des alternances d’ouverture et de fermeture des présidents sud-coréens – comme par exemple Kim Dae-jun et Moon Jae-in pour l’ouverture et Lee Myun-bak ou Park Gyun-hee pour la fermeté -, ni enfin de « l’art du deal » dont le président Trump se prévalait avec Kim Jong-un après un début relationnel sous forme de joutes verbales, suivi de trois rencontres.
Certes la Corée du Nord a abandonné son terrorisme des années 1970-1980 (attentats contre le gouvernement sud-coréen, explosions d’avions de ligne avec passagers sud-coréens et japonais, infiltrations au sud, kidnappings de résidents japonais…), mais lui a succédé une suite de cycles de « stop and go » apportant des lueurs d’espoirs et finissant en déceptions. Le résultat de tous ces cycles n’a été que le renforcement régulier de l’arsenal nord-coréen et la montée de la menace visant les deux pays de première ligne que sont la Corée du Sud et le Japon, mais aussi de celle sur le territoire américain. Durant toutes ces années la Corée du Nord a habilement manœuvré pour gagner du temps.
Préalablement aux derniers tests de missiles nord-coréens, le représentant américain Sung Kim a répété que « les Etats-Unis n’ont pas d’intention hostile à l’égard de la Corée du Nord » en espérant que « celle-ci répondrait positivement à leurs multiples offres de se rencontrer sans pré-condition ». A l’évidence ce type d’appel formulé à plusieurs reprises depuis l’entrée en fonction de l’administration Biden, est resté sans réponse autre que des essais de missiles.
Le récent propos de la sœur de Kim Jong-un soulignant que le retrait des troupes américaines serait une condition de l’apaisement des tensions montre indirectement les objectifs du régime nord-coréen qui se considère depuis toujours comme le seul vraiment légitime dans la péninsule, à savoir ce retrait, une forme de « neutralisation » de la Corée du Sud qui pourrait s’en suivre, voire ouvrir une perspective de réunification aux conditions de Pyongyang. Or la permanence des troupes américaines, fut-ce en moindre nombre, reste une garantie de la protection de la Corée du Sud malgré un budget militaire qui pourrait atteindre près de 48 milliards de USD en 2022 (+4, 5 % par rapport au niveau actuel), voisin de celui du Japon (49 milliards de USD) et de ceux du Royaume-Uni ou de la France. Il y a une forme d’incompatibilité entre cette garantie pour Seoul et celle de l’arme nucléaire dans toutes ses variations pour Pyongyang et la survie du régime dynastique en place.
Dans ce contexte la seule voie reste le retour à une table de discussion sinon de négociation en cherchant des points de reprise de dialogue. La Chine peut y contribuer ; la relation entre Pékin et Pyongyang est celle d’alliés historiques mais elle est aussi empreinte de méfiance réciproque et les intérêts économiques de Pékin sont aujourd’hui davantage au sud qu’au nord de la péninsule. En outre chacun sait qu’un dialogue n’a de sens que si les parties ont le désir et la volonté d’aboutir à un résultat. Certains analysent les tests actuels (et passés) comme autant d‘appels de Pyongyang à un tel dialogue, ou estiment que les difficultés économiques de la Corée du Nord devraient l’y inciter et que la présence à la présidence sud-coréenne de Moon Jae-in jusqu’en mars 2022 le faciliterait. On peut aussi en douter fortement tant que la priorité nord-coréenne restera son armement nucléaire.