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La Corée du Sud pousse à un traité de paix mettant fin à la guerre de Corée

DMZ

Depuis l’automne dernier la présidence Moon Jae-in ne ménage pas ses efforts pour conclure un traité de paix entre les belligérants de la guerre de Corée (1950-1953), se substituant à la convention d’armistice du 27 juillet 1953. Fin décembre le Ministre des Affaires Etrangères Chung Eui-yong a déclaré qu’un projet commun de traité a été « effectivement » élaboré par les Etats-Unis et la Corée du Sud, donnant ainsi un certain éclat aux démarches des semaines passées de la diplomatie sud-coréenne.

C’est d’abord le Président Moon à la tribune des Nations Unies en septembre, qui a ouvert une nouvelle étape des relations entre toutes les parties concernées par les tensions dans la péninsule coréenne, tensions que le tout récent franchissement de la zone démilitarisée (DMZ) par un transfuge nord-coréen désirant retourner au Nord après avoir rejoint le Sud  a de nouveau illustrées. Moon Jae-in a alors demandé qu’un processus visant à un traité de paix soit relancé à trois (les deux Corée et les Etats-Unis) ou quatre (en incluant la Chine). Le président du Parti Démocrate, Song Young-gil, a relayé ce message dans l’opinion publique sud-coréenne en soulignant l’incertitude et l’attitude vague de l’administration Biden en ce domaine.

Depuis et à plusieurs reprises des représentants sud-coréens sont intervenus dans le même sens. A la mi-octobre le conseiller Noh Kyu-duk arrivant à Washington en vue d’une réunion avec ses homologues américain et japonais sur la dénucléarisation de la péninsule, a souligné qu’un traité de paix aiderait à reprendre les discussions relatives à cette dénucléarisation, dans l’impasse depuis la réunion de Hanoi entre Donald Trump et Kim Jong-un en février 2019. A la mi-novembre le sous-Secrétaire d’Etat Daniel Kritenbrink s’était entretenu avec les dirigeants sud-coréens lors d’une visite à Seoul. Début décembre le Ministre de l’Unification Lee In-young, estimant la Corée du Nord plus ouverte au dialogue, a déclaré qu’un tel traité serait un « tournant ». Lors de sa visite à Canberra, le Président Moon a réitéré son souhait de discussions entre les deux Corée ; il a aussi indiqué que son pays ne pratiquerait pas un boycott diplomatique des Jeux Olympiques d’hiver à Pékin et que ceux-ci pourraient être une opportunité de dialogue avec la Corée du Nord. Début décembre, il a demandé au Secrétaire d’Etat à la Défense américain Lloyd Austin le soutien américain des efforts de Seoul. Le 3 janvier 2022, dans son discours de Nouvel An, il a appelé une fois de plus au dialogue pour « poursuivre sur le chemin irréversible de la paix », mais souligné que ce chemin sera long et qu’il faudrait d’abord l’«institutionnaliser » par une déclaration commune avec la Corée du Nord. Sachant le rôle de la Chine dans la guerre de Corée et comme interlocuteur essentiel de Pyongyang, Seoul s’est aussi rapproché de Pékin ; début décembre, au cours d’une réunion avec le conseiller à la sécurité nationale sud-coréen Suh Hoon, le directeur du bureau de la commission centrale des affaires étrangères du Pari communiste chinois a fait part, en termes généraux, du soutien chinois.

Comme à son habitude la Corée du Nord souffle le chaud et le froid sur les démarches actives de Seoul. En septembre un vice-ministre a répondu que l’appel sud-coréen à un traité de paix était prématuré car les Etats-Unis continuaient leur « politique hostile ». A la même période la sœur du dirigeant nord-coréen, Kim Yo-jong, a qualifié les propos du Président Moon à New York, de « déclaration admirable » ; cette observation a été considérée comme une « réponse significative » par la Maison Bleue, le siège de la présidence sud-coréenne. En octobre, devenue conseillère en charge des affaires diplomatiques et de la sécurité nationale à la Commission des affaires d’Etat, elle a posé, entre autres, deux conditions : l’arrêt des exercices conjoints entre armées américaine et sud-coréenne, et la levée des sanctions votées au Conseil de sécurité des Nations Unies ; on peut imaginer qu’en cas de négociations il y en aurait d’autres pour lier discussions relatives au traité de paix et celles en matière de dénucléarisation. Enfin le 31 décembre Kim Jong-un lui-même, lors d’une importante réunion du Parti des travailleurs, a consacré son intervention à la situation économique difficile de son pays et à la poursuite de l’effort militaire sans évoquer les intentions de Seoul ou un projet de traité de paix venant conjointement de Washington et Seoul. Le 5 janvier Pyongyang a procédé depuis une base proche de la Chine au lancement d’un nouveau missile qui s’est écrasé en Mer du Japon, probablement hors de la zone économique exclusive nippone ; s’il est possible qu’il s’agisse d’un test programmé, le premier depuis octobre, sa réalisation peut difficilement être considérée comme un signe positif par Seoul, Washington et Tokyo.

On peut se demander si Kim Jong-un trouverait actuellement un intérêt à entrer dans une négociation en vue d’un traité de paix.  Depuis la présidence Trump, sa demande constante a été la levée des sanctions et non pas celle d’un traité de paix. De plus le discours présentant la Corée du Nord comme une citadelle assiégée par les Etats-Unis, la Corée du Sud, voire le Japon reste un atout pour maintenir un régime militaire et policier très autoritaire, et ne pas introduire de mesures même limitées de libéralisation de la société. En outre pourquoi, à trois mois de la fin du mandat du Président Moon, lui faire un « cadeau » qui pourrait être à l’avantage du candidat du Parti Démocrate Lee Jae-myung ?

Il est par ailleurs probable que l’activisme de la présidence Moon n’est pas sans arrière-pensée politique dans la mesure où Moon Jae-in a fait du dialogue intercoréen une composante forte de son programme depuis son arrivée au pouvoir et que le candidat démocrate s’inscrit dans la même perspective. A l’automne, au début de sa campagne, Lee Jae-myung semblait quelque peu en retrait du candidat conservateur Yoon Seok-youl. Agir en vue du dialogue intercoréen jusqu’au bout de la présidence avait du sens en politique intérieure. Au début 2022, suite à diverses péripéties, la tendance s’est inversée et Kim Jong-un peut ne pas avoir le désir de renforcer, fut-ce indirectement, le camp progressiste.

D’autre part il n’est pas certain qu’aux Etats-Unis tous les experts de la question coréenne soient intimement convaincus de l’urgence d’un traité de paix. Harry Harris, ancien ambassadeur à Seoul de mi-2018 à janvier 2021, avec une carrière antérieure militaire, et donc sous la présidence Trump, est intervenu devant la Washington Times Foundation pour exprimer ses doutes. Il a notamment indiqué qu’«un projet de traité de paix ne doit pas être mené aux dépens de la capacité à répondre aux menaces du Nord » et que «le dialogue et la préparation militaire doivent être conduits la main dans la main » ; il a ajouté qu’un traité de paix ne serait guère qu’une extension de la convention d’armistice et que celle-ci a bien servi les intérêts américains et sud-coréens, suggérant que le statu-quo est préférable et que la vraie question est celle de la dénucléarisation.

En dépit de toutes ces incertitudes et de l’incidence de la prochaine élection présidentielle en Corée du Sud, on peut raisonnablement créditer la présidence Moon de rechercher un dialogue, parfois dans un contexte difficile ou acrimonieux avec Pyongyang, et de tracer une voie pour ne pas rester dans l’impasse des réunions Kim-Trump.

asiacentre.eu