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Disparition d’un politicien japonais atypique : Ishihara Shintarô

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Pourquoi l’auteur de ces lignes écrit-il sur Ishihara Shintarô qui vient de disparaître à Tôkyô ? Des confrères ont publié sa nécrologie, peut-être quelques articles savants l’évoqueront. Mais dans ce Japon qui laisse souvent indifférent, sa disparition a suscité de nombreux articles et témoignages très médiatisés.

D’accord dira-t-on, ça doit être un politicien japonais comme tant d’autres passés par l’université de Tokyo (« Tôdai »), des Universités privées coûteuses  et héritant d’une longue lignée d’hommes puissants – les « femmes puissantes » sont plus rares même si le monde politique nippon s’ouvre désormais petit à petit aux femmes.

Eh bien non, Ishihara Shintarô n’a pas été que cela et c’est cette complexité qui en fait l’intérêt. Ses quatre fils ont évoqué sa vie à la TV à sa mort et parmi eux, l’aîné homme politique et ministre Nobuteru : n’ont-ils pas ce faisant représenté toutes ses facettes ? Il a cependant donné naissance à une lignée de politiciens : outre Nobuteru, un autre fils Hirotaka est aussi élu à la Chambre des représentants, un troisième, Yoshizumi est un homme de télévision et le dernier Nobuhiro est devenu peintre.

Ce fut d’abord un homme de culture, un auteur qui remporte en 1955 pour « La saison du soleil » le prix Akutagawa, équivalent nippon du prix Goncourt, à l’âge de 23 ans alors qu’il était étudiant à l’université Hitotsubashi. Ce fut un écrivain apprécié dans son pays et son best-seller fut le livre de référence de la génération de l’immédiat après-guerre. Ce livre fut publié en France en 1958 et vient d’être réédité chez Belford.

Natif de Kobe et fils d’un employé, il travaille dur et ne bénéficie en rien des réseaux qui font la réussite. Celle-ci, il la conquiert seul.

Il la conquiert aussi dans le cinéma, non qu’il ait été l’égal d’un Kurosawa ou d’un Mizoguchi. Sa fréquentation d’un frère chanteur et acteur Yûjiro qui en son temps fut une sorte d’Alain Delon et décéda en 1987, et du célèbre Ôshima Nagisa, réalisateur de la Nouvelle Vague nippone, même si ses opinions politiques ont été différentes, l’ont plongé aussi dans le bain de l’image. Autre facette, celle de la francophonie. Il est allé faire des études pas forcément académiques en France où il a connu André Malraux,  Raymond Aron,  Francois Truffaut qu’il a inspiré et en est revenu parlant assez bien français pour traduire Villiers de l’Isle Adam. Quitte plus tard à en critiquer la logique.

C’est au titre de la francophonie que Bertrand Delanoé, Maire de Paris et donc, conformément à la tradition, Président de l’Association des Maires Francophones, est venu en 2004 le rencontrer, ce qui a donné à l’auteur de ces lignes l’occasion de le voir et de constater entre ces deux grands personnages une connivence qui allait au-delà de la courtoisie diplomatique.

Discutables sinon condamnables,  la misogynie quand l’âge fait de lui un « tonton » à l’ancienne, il s’est cependant marié à 23 ans sans jamais se séparer de son épouse et a consacré du temps à ses quatre fils ; le nationalisme qui était déjà perceptible dans son « Japon qui peut dire non » co-écrit en 1989 avec Morita Akio, PDG de Sony, pamphlet dénonçant ces élites occidentales qui accusaient le Japon de vouloir conquérir le monde tout en remplissant leurs demeures d’appareils nippons…Il a très souvent tenu des propos anti-chinois et anti-coréens, violents et méprisants, appelant les habitants des anciennes colonies japonaises du peu aimable qualificatif « sangokujin (ceux des pays tiers).

Nationalisme ou patriotisme qu’il juge insuffisant chez le PLD majoritaire avec lequel il sera de plus en plus en porte-à-faux, mais qu’on retrouve aujourd’hui dans la Conférence du Japon (« Nihon Kaigi »), ensemble regroupant les plus conservateurs du PLD ainsi que des anciens dirigeants d’entreprises et des personnalités de la communication. L’ancien Premier Ministre Abe Shinzo a salué sa disparition en déclarant qu’ « il a été un politicien qui a continué à remettre en cause les notions préconçues de l’après-guerre ». Ishihara Shintaro voulait d’ailleurs réécrire la Constitution tout comme Abe Shinzo a cherché à l’amender.

Cela ne l’empêche pas, en tant que gouverneur de Tôkyô , de mener une politique « écologiste » (il fut auparavant responsable de l’Agence de l’Environnement), proposant par exemple de faire du pâté de corbeaux et y lançant le marché du carbone. Il a aussi obtenu que les Jeux Olympiques soient attribués à sa ville – la Covid a conduit le gouvernement à les tenir en 2021 sans spectateurs.

Son obsession politique le conduit, pour conquérir et garder son siège parlementaire à dériver vers l’extrême quand il tente une alliance avec Mme Koike, ministre de la Défense puis sa successeure comme gouverneure de la capitale, ce qui ne l’empêche pas de regretter que « l’identité japonaise est la cupidité ».

Il achète au nom de sa ville en 2012 les îles Senkaku pour obliger l’Etat à les préempter, ce qui bien sûr n’a pas peu contribué à envenimer les relations avec la Chine, et fonde ses derniers partis : le « Parti du Soleil », « Ishin » c’est à dire le nom qui avait été donné à la révolution Meiji relativement libérale au début mais toujours autoritaire et franchement réactionnaire sur sa fin, avant de laisser la jeune génération bénéficier des ses conseils. Il se retira de la vie politique en 2014.

Ce tableau serait fort incomplet si on ne rappelait qu’il a été parlementaire de 1968 à 1973 – avec ses amis politiques, ils signent leur manifeste de leur sang -, occupa des postes ministériels (notamment celui des Transports) et jusqu’à son élection comme gouverneur en 1999 puis de nouveau de 2012 à 2014 ; et si on ne citait aussi ses accointances avec la pègre. Où peuvent  conduire le patriotisme  y compris sur le plan religieux et l’aversion des étrangers – toute ressemblance avec d’autres leaders politiques ne peut être que fortuite.  Alors, ce qui définit le mieux la longue vie aux innombrables facettes d’Ishihara Shintarô, n’est-ce pas sa liberté  de parole, pour contestable qu’elle ait pu être souvent dans la seconde partie de sa vie ?

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