Retrouvez ci-dessous l’intégralité de la dernière chronique de David Baverez “Soleil levant” pour l’Express, publiée le 11 mai dernier dans sa version digitale.
« Zéro Covid » : les vrais messages du confinement de Shanghai
UNE CHRONIQUE DE DAVID BAVEREZ
Chapô : Le drame humain qui se joue en ce moment à Shanghai ne doit pas occulter les messages clés que Pékin lance à sa population, à l’Occident et au monde.
La Chine serait-elle sur le point de devenir « le Tôlier du monde » ? Ils sont 25 millions de Shanghaiens à subir depuis près de deux mois un confinement qui rappelle les premiers jours de la crise de la Covid en Occident, et ils semblent nous le suggérer à travers leurs témoignages, comme dans le documentaire « Les voix d’avril », devenu viral sur les réseaux sociaux, Au-delà des scènes inhumaines dénoncées, le confinement de Shanghai nous envoie d’ores et déjà trois messages clés pour tenter d’appréhender le futur troisième mandat de Xi Jinping.
D’abord, Shanghai nous rappelle l’opposition entre deux Chine. L’une, idéologique, basée à Pékin, continue de s’enfermer dans une politique « zéro Covid », dont le reste du monde a bien compris désormais qu’elle était inopérante pour lutter face au variant Omicron du virus. L’autre, pragmatique, symbolisée par les autorités de Shanghai, a réussi, depuis deux ans, à allier sécurité sanitaire et croissance économique en recourant à des confinements extrêmement ciblés. En privilégiant le vaccin chinois, dont l’efficacité n’apparaît qu’à la troisième dose, Pékin s’est enfermé dans un cul-de-sac : les plus de 80 ans, culturellement récalcitrants à la vaccination, ne sont respectivement que 50 % et 20 % à avoir reçu deux et trois doses. Toute une région est ainsi paralysée, qui plus est la plaque tournante logistique des exportations, la principale source actuelle de la croissance économique chinoise.
Ensuite, cette priorité conférée à l’idéologie et au contrôle, aux dépends de la rationalité économique, annonce un découplage croissant avec l’Occident. Un récent discours du président Xi au Forum de Boao a permis de mieux entrevoir la vision chinoise d’un nécessaire nouvel ordre mondial, qui viserait à restituer « L’Asie à l’Asie ». Shanghai, porte historique du continent chinois avec l’Occident, doit donc rentrer dans le rang d’une désoccidentalisation du monde, s’articulant autour de trois axes. D’abord, la dé-démocratisation du globe, aidée par la montée du populisme liée aux fortes poussées inflationnistes en Occident. Ensuite, la dé-OTANisation de la planète, à l’origine de la nouvelle amitié « sans limite » avec la Russie. Et enfin, la dé-dollarisation des échanges, qui pourrait dans un premier temps s’inviter en Orient dans le commerce de l’énergie et des matières premières. Emblématique de cette lame de fond : la récente sommation de l’assureur chinois Ping An au groupe bancaire HSBC, dont il est désormais le premier actionnaire, de scinder ses activités en deux blocs géographiques, la partie asiatique – de loin la plus rentable – ne devant plus être supervisée par Londres.
Enfin, le troisième message s’adresse, au-delà de Shanghai, à l’ensemble de la population chinoise : les« quarante Glorieuses » touchent à leur fin. La Chine rentre dans une période de frugalité, rendue nécessaire par l’économie de guerre face à la menace américaine. Une économie qui n’est plus caractérisée par une croissance de la demande et qui laisse augurer un ralentissement durable de la consommation domestique, au-delà même des perturbations logistiques liés aux confinements à répétition. A l’opposé du « Quoi qu’il en coûte » du président Macron, le président Xi impose à sa population un « Quoi qu’il vous en coûte » : c’est le message que la modernisation de la Chine pour rattraper les États-Unis ne se fera pas sans sacrifices, symbolisés à Shanghai par les livraisons erratiques de nourriture aux confinés. Le futur, en temps guerriers, tient au contraire en la maîtrise d’une économie de l’offre, celle qui doit permettre à la Chine de contrôler les goulots d’étranglement de la production industrielle mondiale, et que Pékin compte utilise comme arme dans les négociations tactiques à venir. Christine Lagarde soulignait ainsi récemment, de manière prémonitoire, la dépendance « significative » de 46 % des grandes sociétés allemandes à leur sous-traitance chinoise.
Ce confinement de Shanghai annonce de profonds changements structurels, tant sur la future croissance économique chinoise que sur le nouvel ordre mondial. Il reste peu de temps aux dirigeants économiques européens pour en comprendre les pleines conséquences et s’adapter à cette nouvelle donne.
David Baverez est investisseur, installé à Hong Kong depuis dix ans. Il est l’auteur de Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur Éditeur, 2021) [Version print] David Baverez est investisseur, installé depuis dix ans à Hongkong.